Sur ordre royal
1
Pays de Galles, 1205
Sire Alfred de Garleboine, noble normand, arrêta son palefroi pommelé et plissa les paupières, tentant d’y voir à travers l’eau qui gouttait de son heaume. De la pluie tombait des pins sur le bord de la route, exaltant leur odeur puissante, tandis que le bas-côté du chemin n’était plus qu’un amas de boue ruisselante. Les nuages d’un gris de plomb obscurcissaient le ciel, donnant au paysage une teinte d’un brun sale et d’un vert éteint. Les quelques rochers que l’on apercevait au loin ressemblaient à de petits hommes voûtés luttant pour se tenir au sec.
— Dieu soit loué, Llanpowell ! Enfin ! marmonna sire Alfred alors que sa monture reprenait sa marche, ses sabots remuant de la boue et des cailloux.
De sous la capuche trempée de sa cape doublée de renard, la jeune dame qui chevauchait à côté de lui suivit son regard vers ce qui était bel et bien un château, et non un autre relief rocailleux du sud du pays de Galles.
— Messire !
A ce cri alarmé, sire Alfred et dame Roslynn deWerre se tournèrent brusquement pour voir un lourd chariot de bois pris dans une ornière et sur le point de se renverser. Le conducteur édenté s’était déporté de l’autre côté, pour faire contrepoids, fouettant les deux chevaux de trait tout en les exhortant à bouger. Les bêtes renâclaient et tiraient sur les harnais, mais la roue ne faisait que s’enfoncer davantage à chaque tentative.
— Ne restez pas assis là comme un tas de crottin ! ordonna sire Alfred à ses hommes. Allez faire bouger ces stupides animaux !
Il désigna six des soldats de l’escorte.
— Vous accompagnerez le chariot jusqu’au château. Le reste d’entre nous va continuer.
Il se pencha en avant, puis tourna son regard d’un gris d’acier vers dame Roslynn.
— Avez-vous des objections à laisser le chariot et à prendre les devants pour gagner le château, ma dame ?
Roslynn adressa un sourire suave à sire Alfred, un sourire en totale contradiction avec l’agitation qui l’habitait.
— C’est vous qui commandez, répondit-elle simplement.
En vérité, elle aurait préféré rester sous la pluie battante plutôt que d’atteindre Llanpowell.
— Six hommes sont-ils réellement nécessaires pour garder le chariot alors que nous sommes si près du château d’un noble, et qu’il fait un temps aussi exécrable ? demanda-t-elle posément.
— Je ne prendrai pas de risques, répondit sire Alfred d’un ton bref avant de lever la main et de crier au reste du cortège d’avancer.
Roslynn réprima un soupir. Elle ignorait pourquoi le courtisan du roi John s’était soucié de lui demander son avis. Elle n’aurait sans doute pas dû se donner la peine de répondre.
Le cortège poursuivit sa route, le silence n’étant rompu que par le martèlement de la pluie, le cliquetis des harnais et des cottes de mailles des soldats et le bruit des sabots sur la route boueuse. Tandis qu’elle observait la bâtisse en face d’elle, Roslynn ne put réprimer un frisson de frayeur. Chaque pas les rapprochait un peu plus du château du seigneur de Llanpowell.
Comme les rochers, le château semblait être une excroissance naturelle du paysage, battue par le temps et les éléments, et non une construction édifiée par des hommes. A dire vrai, le spectacle qu’il offrait n’était guère engageant.
Tout ce pays présentait un fort contraste avec le Lincolnshire qui lui était familier, où les plaines marécageuses sans relief s’étendaient sur des milles et où le ciel paraissait sans fin. Ici, il y avait des collines et des vallées, des rivières, des fougères, des éboulis et des rochers mouillés. C’était un paysage sauvage et indompté, étrange et prenant, désolé malgré la présence de la forteresse colossale qui se dressait devant eux.
Roslynn s’efforça de réprimer sa terreur tandis qu’ils arrivaient devant les portes massives en chêne épais. Quoi qu’il se passe ici, au moins serait-elle loin de la cour du roi, et le logement devrait être plus satisfaisant que ce qu’ils avaient connu durant leur voyage.
Une voix les apostropha du haut de la barbacane, en français normand, quoique teinté d’un fort accent gallois.
— Qui êtes-vous et que voulez-vous à Llanpowell ?
— Je suis sire Alfred de Garleboine, envoyé par le roi, cria son accompagnateur en retour.
— Envoyé par le roi ? répéta l’homme sur le chemin de ronde.
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