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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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quels étaient leurs droits et devoirs, j’endossais, moi, l’étiquette de sous-homme.
    À compter de ce jour, ma vie fut de plus en plus recluse. Le matin, on m’accompagnait au jardin d’enfants juif, qui était tout à côté de la maison et mes après-midis étaient ponctués de jeux solitaires ou de leçons de piano, sous l’égide de la sœur de mon père, professeur de musique.
    Il paraît que j’étais doué, mais mon tempérament rebelle se refusait à devenir l’esclave du grand géant noir avec sa bosse sur le côté, qui s’appelait « Bechstein ». Mes talents cachés se bornèrent donc à dévorer les pommes odorantes, censées me démontrer l’arithmétique des notes en solfège, dont le plus beau trophée restait, bien sûr, la grosse « ronde », qu’on allait couper en trente-deux tranches. Voici jusqu’où parvint à s’épuiser mon intérêt pour le monde de la musique.
    En 1936, je fus envoyé dans une école juive, dont mon père avait jadis éprouvé la baguette, le cabinet noir et la discipline prussienne. Il s’en était bien vengé, en immortalisant les bancs de ses gribouillis et autres gravures sur bois. J’eus même des professeurs qui, quoique à la retraite depuis belle lurette, lui avaient jadis fait cours. Conscient du poids que la tradition familiale faisait porter sur mes épaules, j’essayais bon an mal an d’être bon élève, mais sans en faire plus que le strict nécessaire.
    Nous travaillions sur de vieux manuels de classe, mais également sur de nouvelles éditions nazies. L’anniversaire d’Hitler était un jour férié. À cette occasion – telles étaient les nouvelles consignes scolaires –, les élèves étaient tous rassemblés pour écouter des poésies, récitées à la gloire de la patrie. Les plus progressistes de nos professeurs faisaient allusion au fait que nous n’aurions pas dû partager cette gloire… étant donné que l’égalité n’existait plus. La seule arme qui nous restait était l’amour-propre, et nous voulûmes, de notre côté, rivaliser avec ces nouveaux mouvements de jeunesse : nos excursions scolaires devinrent donc l’occasion de brillantes marches martiales, de chants et de joutes sportives spectaculaires. Malheureusement, toutes ces belles démonstrations furent à leur tour interdites les unes après les autres, et se défendre contre les jets de pierres, que nous recevions dans la cour de récréation, devenait aussi un crime. Nous étions des parias juifs, et la seule aire de jeu encore sûre qui nous resta fut un parc attenant un cimetière juif, situé en banlieue.
    Mon père avait voulu que je devienne membre du club sportif sioniste Bar Kochba , du nom du chef d’une révolte juive dans la Rome antique. Nos entraînements n’étaient autorisés qu’en salle, mais nous y gagnions une confiance illimitée, nous insufflant un courage d’une nouvelle sorte, qui ne nous quittait plus.
    Un soir d’hiver, alors que je me rendais au club avec un ami, nous fûmes, lui et moi, assaillis sur la place de la synagogue par une volée de boules de neige, accompagnées d’insultes et de mots grossiers. Nous eûmes juste le temps d’apercevoir l’uniforme noir des Jeunesses hitlériennes, porté par des garçons d’environ notre âge, qui se cachaient derrière les colonnes du temple. Notre orgueil l’emporta sur l’ordre de n’être que de dociles petits sous-hommes et nous partîmes à l’assaut ! Nos adversaires n’avaient pas escompté une si prompte riposte et restèrent perplexes. J’en attrapai un, le jetai dans la neige et me mis à le rouer de coups, avant de devoir malheureusement battre en retraite dès qu’il commença à hurler. Ses amis avaient déjà pris la poudre d’escampette et il n’y avait plus personne alentour. La nuit tombait et se chargea de reléguer notre petite aventure dans les oubliettes. Telle fut ma première et dernière occasion de riposter publiquement.
    Je voulais tout savoir du monde dans lequel je vivais. Avec mes amis, nous nous faufilions dans les mines de charbons attenantes, les usines, les annexes ferroviaires. Les hauts-fourneaux d’un blanc aveuglant, les roues des puits miniers en perpétuel mouvement, les immenses terrils, les wagonnets chargés de minerai et reliés à des caténaires, les petits trains de marchandises tout grinçants, accrochés à de grosses locomotives noires, qui expiraient en freinant au bout de leur périple, les énormes nuages de

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