Survivant d'Auschwitz
de procession, à l’intérieur du temple, nous recevions de traditionnels friandises et chocolats, et, comme je faisais partie des plus grands, j’observais attentivement l’attitude de nos donateurs. Certains – nombreux d’ailleurs – faisaient preuve de générosité envers chaque enfant ; d’autres ne donnaient qu’aux rejetons des familles influentes ; enfin, il y avait ceux qui ne distribuaient qu’aux enfants pauvres de la communauté. À la fin de la cérémonie, nous comparions nos trésors. En ce qui me concernait, j’avais les poches plutôt pleines, mais certains enfants ne pouvaient cacher leur déception et regardaient tristement ceux qui se battaient pour savoir qui avait fait la meilleure recette. Pourquoi les gens donnaient-ils en faisant de telles différences ? Nous avions pourtant tous fait nos quatre tours, ni plus ni moins, et je ne comprenais pas. Les dons étaient-ils fonction de notre âge ? Ou de notre apparence ?
J’en touchai un mot à mon père et l’hésitation que je perçus dans sa réponse causa une vive souffrance à l’âme tendre que j’étais et finit par gâcher tout mon plaisir. Mon père lui-même n’avait jamais aimé cette coutume, qui fonctionnait sur un principe simple : on donnait aux enfants en fonction du rang ou de l’influence de leur famille, et cela revenait en quelque sorte à transmettre sa « carte de visite » sous forme de sucreries. Papa n’était pas dupe : il savait même qui offrait telle ou telle marque de chocolats ou de sucettes. Tout cela était à désespérer ! Même à la synagogue, les faits étaient là pour rappeler à qui n’avait rien qu’il n’était personne !
*
Le bruit montait jusqu’à mes fenêtres. Je me réveillai. Comme je ne supportais pas qu’on me répète de me dépêcher de me préparer pour aller à l’école, je décidai de me lever et d’ouvrir mes rideaux. À ma grande surprise, le jour se levait à peine. Je regardai sur le trottoir d’en face. Une grosse Mercedes noire, comme celles qui nous faisaient rêver, mes copains et moi, était garée devant la boutique du chausseur. La rue était jonchée de bris de verre et de chaussures neuves, il y en avait partout ! Des noires, des marron, des blanches, des sandales, des escarpins à talons. Un groupe de chemises brunes se dépêchait de fourrer tout ce qu’ils ramassaient dans la voiture… Je crois qu’il devenait clair que j’assistais à un cambriolage ! Comme il n’y avait pas d’autres témoins, je me précipitai, l’âme d’un grand détective, dans la chambre de mes parents pour les réveiller. Mon père, apparemment moins heureux de ma découverte, téléphona aux voisins. La confusion qui régnait était générale, mais une chose fut sûre : ce jour-là, il n’y eut pas école. Voulant savoir à quoi relier cet événement, je consultai le calendrier et vis que nous étions le 9 novembre 1938. Les nouvelles accouraient de partout, la synagogue brûlait, les pompiers refusaient de se déplacer, sous prétexte qu’ils étaient occupés à protéger les bâtiments alentour. Dans toute la ville, ce jour-là, des montagnes de livres furent jetés au feu et la plupart des magasins, pillés. Juifs ou chrétiens, tous évitaient de descendre dans la rue, néanmoins les arrestations furent très nombreuses.
Nous avions si peur d’entendre frapper à la porte les coups si redoutés, que nous nous tenions serrés les uns contre les autres, tous dans la même pièce, habillés et prêts à faire face à ce qui allait pouvoir advenir. Finalement, on frappa. Il fallut donc bien ouvrir. Nous nous trouvâmes nez à nez avec un homme en chemise brune, d’un certain âge, qui tenait une liste. Il fit défiler son doigt le long des noms, tapés à la machine, s’arrêta sur l’un d’eux, et grommela, d’un ton renfrogné, celui d’un vieux locataire juif qui avait déménagé quelque temps auparavant. Par bonheur, notre visiteur ne chercha pas à lui trouver de remplaçant.
La synagogue brûla complètement et notre école fut définitivement fermée. Certaines familles, qui en avaient les moyens, envoyèrent leurs enfants à la campagne, où les choses étaient plus calmes. Mon « lieu de villégiature » fut une maison pour enfants juifs située à Obernick, près de Breslau. Nichée au milieu de bois et de jardins, elle fut pour nous la merveilleuse occasion de partir à la découverte de la nature et je m’y sentis
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