Survivant d'Auschwitz
venir danser. Je me redressai et les regardai.
Elles étaient jeunes, tournaient et virevoltaient sur la mélancolie des airs tsiganes, et j’étais tellement fasciné que je ne pouvais plus bouger. Elles devaient penser à la même chose que moi – à ce peuple tsigane, si particulier, sans patrie, mais si aimant des siens, un peuple qu’on croyait connaître et qui demeurait un mystère. C’était la première fois que je voyais des femmes tsiganes de si près, et j’étais absolument sous le charme. Perdu dans mes pensées, je continuai de les regarder. Tout à coup, quelqu’un traversa la salle. Il se dirigeait vers une caisse de bière, et mon regard fut retenu par ce garçon, flottant dans un costume beaucoup trop grand pour lui. Je me disais qu’il avait l’air un peu grotesque, puis, en l’observant de plus près, je crus le reconnaître et l’appelai. Avais-je trop bu ou quoi ? Non, apparemment lui aussi avait l’air de me connaître. Il vint vers moi et nous nous serrâmes chaleureusement les mains. C’était Berger, le Petit Berger, notre petit Tsigane de l’école des maçons que tous, nous aimions tant.
Il me raconta que des Autrichiens avaient accepté de prendre soin de lui et allaient le ramener avec eux en Autriche. Il m’avoua qu’à l’instant où il me parlait, il était saoul.
Il était tard et je quittai la fête. Je continuai de penser au petit Berger. Ses amis s’occuperaient-ils vraiment de lui ? L’avenir s’offrait-il à lui, comme nous l’avions tant espéré pour lui ?…
*
« 8 mai 1945 – Armistice avec l’Allemagne. » La guerre en Europe était finie. Le nazisme avait capitulé.
Quelqu’un tournait le bouton de notre radio, cherchant à capter. Partout c’étaient des clameurs de joie. On entendait le gong de la victoire à Londres – le V de la Victoire était retransmis en morse ; la Marseillaise chantait ; l’air solennel de l’hymne russe résonnait ; les cloches du Kremlin volaient ; les Berlinois sortaient des décombres – partout, on célébrait la victoire.
Je me tournais et me retournais dans mon lit et réfléchissais. C’était la paix. Qu’allions-nous en faire ? J’allais avoir seize ans et bientôt viendrait ce jour, où moi aussi, j’aurai mon mot à dire.
Je m’endormis, rêvant de l’avenir.
T.G.
1 - N.D.T. : il s’agit d’un GI, « Ami » est le diminutif en allemand de Américain.
2 - Traduction française : Avançez !
3 - N.D.T. : 9 000 prisonniers soviétiques furent tués à Buchenwald en quelques semaines.
4 - De la troupe personnelle de l’Amiral Canaris dépendant directement de l’ Abwehr II (Service du Renseignement de la Wehrmacht ), les unités Brandenburg deviennent en 1943 une division, qui opère essentiellement dans la lutte contre les Partisans dans les Balkans, avant d’être réunies à l’automne 1944 sous le nom de Division Panzergrenadier Brandenburg , division d’infanterie motorisée de la Waffen-SS, engagée sur le front de l’Est.
Voir La Division Brandenburg 1939-1945 , Eric Lefevre Presse de la Cité, Paris, 1984.
Annexes
Le Chant des marais 1
I.
Loin vers l’infini s’étendent
De grands prés marécageux
Et là-bas, nul oiseau ne chante
Sur ces arbres secs et creux
Refrain
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher, piocher
II.
Dans ce camp morne et sauvage
Entourés de murs de fer
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d’un grand désert
III.
Bruit de chaînes et bruit des armes
Sentinelles jour et nuit
Et du sang, des cris, des armes
La mort pour celui qui fuit
IV.
Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira.
Liberté, liberté chérie
Je dirai : Tu es à moi
Dernier Refrain
Ô terre enfin libre,
où nous pourrons revivre
Aimer, aimer.
Auschwitz – plan du camp de travail
(réalisé de mémoire par Thomas Geve)
Le camp « d’Auschwitz I »
1 - Le chant des Marais est composé en 1933 par des prisonniers du camp de concentration de Börgermoor. Il fait aujourd’hui figure d’hymne de la déportation.
DU MÊME AUTEUR
Livres :
Youth in Chains , Rubin Mass, Jerusalem 1958 et 1981
Guns and Barbed Wire : A Child Survives the Holocaust, Academy, Chicago, 1987
Geraubte Kindheit – Ein Junge überlebt den Holocaust , Sudverlag, Constanz, 1993
Gewehre und Stacheldraht , Dobutsu Sha. Suginami-Ku, Tokyo, 1993
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