Taï-pan
déclara Crosse avec une franchise désarmante. Il dit qu’il y a un mandat d’arrêt lancé contre moi, pour dettes, et que je suis attendu à la prison de Newgate, qu’il me confie à votre générosité dans l’espoir que vous pourrez trouver l’emploi de mes “talents” – n’importe quoi, pourvu que je ne rentre pas en Angleterre et que je reste éloigné de lui jusqu’à la fin de ses jours. Et puis il fixe l’enjeu du pari.
— Du pari ?
— Je suis arrivé hier, monsieur. Le 28 juin. Votre fils et beaucoup d’autres personnes en sont témoins. Peut-être devriez-vous lire la lettre, monsieur. Je puis vous assurer que mon père ne parierait jamais avec moi, s’il ne s’agissait d’une chose de la plus haute importance. »
Struan examina les cachets, et les brisa. La lettre était longue.
« Westminster, le 28 avril 1841, 11 heures du soir. Mon cher monsieur Struan, je viens tout juste d’avoir secrètement connaissance d’une dépêche que le ministre des Affaires étrangères, Lord Cunnington, a envoyée hier à l’Honorable William Longstaff, plénipotentiaire de Sa Majesté en Asie. Voici, en partie, ce que contient cette dépêche : “Vous avez désobéi et négligé mes directives et vous semblez les considérer comme du vent. Vous avez manifestement décidé de régler les affaires du gouvernement de Sa Majesté selon vos caprices. Avec impertinence, vous faites fi des instructions selon lesquelles cinq ou six ports chinois, sur le continent, doivent être rendus accessibles aux intérêts britanniques et que des relations diplomatiques permanentes doivent être établies en conséquence ; que ceci doit être fait rapidement, de préférence par la voie des négociations, mais si les négociations sont impossibles, par l’emploi du corps expéditionnaire envoyé à cet effet précis et à grands frais. Au lieu de cela, vous traitez pour un misérable rocher où il n’y a même pas une maison, vous signez un traité parfaitement inacceptable et en même temps, si l’on en croit les dépêches navales et militaires, vous faites continuellement un mauvais emploi des forces de Sa Majesté dont vous avez le commandement. En aucune façon Hong Kong ne peut devenir le centre commercial de l’Asie, pas plus que Macao n’en est devenu un. Le traité de Chuenpi est radicalement dénoncé. Sir Clyde Whalen, votre successeur, arrivera incessamment. Peut-être auriez-vous l’obligeance de vous démettre de vos fonctions entre les mains de votre adjoint, M. C. Monsey, au reçu de cette dépêche, et de quitter l’Asie sans retard par la frégate qui est ici dépêchée à cet effet. Vous êtes prié de venir au rapport à mon bureau dès que possible…” Je ne sais vraiment que faire… »
Impossible ! Impossible qu’ils puissent faire une sacrée bon Dieu de nom de Dieu de foutue erreur aussi incroyable ! pensa Struan. Il poursuivit sa lecture :
« Je ne sais vraiment plus que faire. Tant que cette nouvelle n’est pas officiellement annoncée à la Chambre, j’ai les mains liées. Je n’ose pas me servir ouvertement de ces renseignements. Cunnington réclamerait ma tête et je serais chassé de la politique. Il est même certain qu’en la confiant ainsi au papier de cette manière, je donne à mes ennemis – et qui n’en a pas, en politique ? – une occasion de me démolir et, avec moi, tous ceux qui défendent le commerce libre et la position pour laquelle vous luttez avec tant de zèle depuis si longtemps. Je prie Dieu que mon fils puisse la remettre en mains propres, seul (il ignore tout du contenu de cette lettre, naturellement). Comme vous le savez, le ministre des Affaires étrangères est un homme impérieux, qui fait la loi, et le rempart de notre parti Whig. Son attitude est clairement révélée par cette dépêche. Je crains que Hong Kong ne soit une question enterrée. Et à moins que le gouvernement ne tombe et que les Conservateurs de Sir Robert Peel ne prennent le pouvoir – une impossibilité, dirais-je, dans l’avenir immédiat – Hong Kong le restera certainement.
« La nouvelle de la faillite de votre banque a fait le tour de la City – grâce, il faut bien le dire, à vos rivaux et au jeune Morgan Brock. « En confidence », Morgan Brock a judicieusement semé des graines de méfiance, tout en laissant entendre que les Brock détiennent pratiquement tous vos billets et effets, ce qui a fait le plus grand tort à votre
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