Taï-pan
influence ici. Il est également arrivé une lettre de M. Tyler Brock et de plusieurs autres marchands, presque en même temps que la dépêche de Longstaff concernant le traité de Chuenpi, en opposition flagrante contre l’établissement de Hong Kong et contre la conduite des hostilités par Longstaff. La lettre était adressée au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères, et des copies à leurs ennemis qui, comme vous le savez, sont nombreux.
« Sachant que vous avez investi le reste de vos ressources, s’il y en a, dans votre île bien-aimée, je vous écris pour vous donner l’occasion de vous retirer et de sauver quelque chose du désastre. Il se peut que vous soyez parvenu à un arrangement quelconque avec Brock, ce que je souhaite de tout cœur, encore qu’à en croire l’arrogant Morgan Brock le seul arrangement qui leur convienne est l’anéantissement de votre maison. (J’ai de bonnes raisons de penser que Morgan Brock et un groupe d’intérêts bancaires du Continent – Français et Russes, dit la rumeur – ont déclenché la ruée soudaine sur votre banque. Le groupe Continental a suggéré la manœuvre quand le bruit a couru, je ne sais comment, que M. Robb Struan méditait une structure financière internationale. Le groupe a mis votre banque en faillite en échange de la moitié d’un plan similaire que Morgan Brock est en train d’essayer d’organiser.)
« Je suis désolé de vous apporter de si mauvaises nouvelles. Je le fais de bonne foi, dans l’espoir que ce renseignement pourra vous servir et que vous parviendrez à survivre pour continuer la lutte. Je persiste à croire que votre projet pour Hong Kong est le bon. Et j’ai l’intention de continuer à le défendre.
« Je sais peu de chose de Sir Clyde Whalen, le nouveau capitaine surintendant du Commerce. Il s’est distingué aux Indes et a une excellente réputation militaire. Ce n’est pas un administrateur, je crois. On m’a laissé entendre qu’il part demain pour l’Asie ; son arrivée est donc imminente.
« Un dernier point. Je vous confie mon plus jeune fils. C’est un vaurien, une brebis galeuse, un bon à rien dont le seul but dans la vie est le jeu, de préférence aux courses de chevaux. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour dettes. Je lui ai dit que je consentirais – pour la dernière fois – à payer ses dettes s’il entreprenait sur l’heure ce dangereux voyage. Il y a consenti, en pariant que s’il accomplissait l’impossible exploit d’arriver à Hong Kong en moins de soixante-cinq jours – la moitié du temps normal – je devrais lui donner mille guinées de plus.
« Pour assurer l’arrivée la plus rapide de ma lettre, j’ai consenti à cinq mille guinées s’il arrivait en soixante-cinq jours, et cinq cents guinées de moins pour chaque jour supplémentaire, tout cela à la condition qu’il reste éloigné de l’Angleterre jusqu’à la fin de mes jours, l’argent devant lui être remis à raison de cinq cents guinées par an jusqu’à épuisement de la somme. Ci-inclus, la première, annuité. Je vous serais reconnaissant de me donner par retour du courrier la date exacte de son arrivée.
« Si vous voyez un moyen d’utiliser ses “talents” et de le raisonner, vous gagneriez la gratitude éternelle d’un père. J’ai tout essayé et j’ai échoué. Et pourtant, je l’aime tendrement.
« Je vous prie de croire à ma sincère compassion pour votre grande malchance. Mes amitiés à M. Robb, et je termine en espérant que j’aurai le plaisir de vous rencontrer personnellement en des circonstances plus heureuses. J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très dévoué serviteur, Charles Crosse. »
Struan se tourna vers la fenêtre et contempla la rade, et l’île. Il se rappela la croix qu’il avait brûlée le premier jour. Et les vingt pièces d’or de Brock. Et les trois dernières pièces de Jin-qua. Et les lacs d’argent à être investis pour quelqu’un qui, un jour, se présenterait avec un certain chop. Maintenant, tout le travail, le souci, l’organisation, les morts, tout était perdu. Par l’imbécile arrogance d’un seul homme, Lord Cunnington. Nom de Dieu ! Que vais-je faire, maintenant ?
Struan s’efforça de se remettre du choc et de réfléchir. Le ministre des Affaires étrangères était un homme brillant. Il ne repousserait pas Hong Kong à la légère. Il devait y avoir une raison. Laquelle ?
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