Taï-pan
qu’il sût que sa maison, au-dessus, avait disparu, il se rappelait joyeusement que ses biens les plus précieux étaient là, en sécurité, et que la maison pourrait facilement être reconstruite. Ses yeux errèrent sur ses registres en tas, ses dossiers de titres de possession de terrains, ses billets à ordre, ses reçus, ses hypothèques, ses coffres d’argent en lingots ou en pièces, ses coffrets de jade, ses pièces de soie inestimable, ses tonneaux de vins fins. Et sur sa concubine, Fleur Précieuse. Elle était confortablement installée sous des couvre-pieds du duvet le plus fin, soutenue par des coussins de soie, sur un grand lit poussé contre une des parois. Il se versa encore une minuscule tasse de thé, puis il alla s’étendre auprès d’elle.
Tu es un garçon très astucieux, se dit-il.
Le vent et la pluie assenaient leurs coups de boutoir sur le mur nord du comptoir de Struan, à la Vallée Heureuse, et de temps en temps un des Vents du Diable essayait de tirer dessus. Mais à part un frémissement, de temps en temps, et le bruit infernal, la bâtisse tenait bon.
Struan allumait un cigare. Il avait horreur d’être là, enfermé, et de ne pouvoir rien faire.
« Tu fumes trop, lui cria May-may dans le tumulte de la tempête.
— Fumer calme les nerfs.
— Sale habitude puante. Puante. »
Il ne dit rien, et alla de nouveau consulter le baromètre.
« Pour quoi faire tu regardes ça toutes les dix minutes ?
— Il me dit où est la tempête. Quand il s’arrêtera de baisser, le tourbillon sera sur nous. Ensuite, il remontera. Je crois.
— Je ne suis pas très plaisamment heureuse d’être ici, Taï-pan. Ce serait bien mieux à Macao.
— Je ne crois pas.
— Quoi ?
— Je ne crois pas !
— Oh ! Il nous faut encore dormir ici ce soir ? demanda-t-elle, lasse de hurler. Je ne veux pas que Yin-hsi, ou toi, ou même cet excrément de tortue d’Ah Sam attrapent la fièvre.
— Je crois que nous ne risquons rien.
— Quoi ?
— Nous ne risquons rien ! »
Il regarda l’heure. Deux heures vingt. Mais quand il mit un œil à une fente du volet, il ne vit rien. Rien qu’un vague mouvement dans les ténèbres et des stries de pluie horizontales sur les carreaux. Il se félicita d’être sous le vent. Ce coin de la résidence donnait à l’est, au sud et à l’ouest, et il était protégé ainsi de la pleine violence du vent. Et Struan se félicitait d’être à terre. Aucun navire ne pourra survivre à ça, pensa-t-il. Aucune rade au monde n’est assez sûre pour protéger les flottes d’une telle force de Dieu. Je parie que Macao en subit sa part. Pas de protection, là-bas. Je parie que la moitié des navires sont en pontons et dix mille jonques et sampans par le fond sur cinq mille milles de côte. Sûr. Et le navire envoyé au Pérou ? Je parie qu’il s’est trouvé sur son passage et qu’il est allé par le fond, le frère Sébastien avec.
« Je vais voir les autres.
— Reviens vite, Taï-pan. »
En longeant le couloir, il vérifia les fermetures des volets. Puis il traversa le palier et redressa distraitement un tableau de Quance avant d’entrer dans l’ancien appartement de Robb.
Horatio était assis dans la pénombre, sur ce même fauteuil de rotin où Sarah avait été assise, il y avait, semble-t-il, si longtemps, et dans la pauvre lumière vacillante des lanternes, Struan crut un instant revoir sa belle-sœur.
« Bonjour, Horatio. Où est Monsey ? »
Horatio regarda Struan sans le reconnaître.
« J’ai trouvé Ah Tat, dit-il, d’une voix bizarre.
— Je n’entends pas, petit. Faudra crier.
— Ah Tat. Je l’ai retrouvée. Oh ! oui.
— Hé ? »
Horatio se mit à rire, d’un rire hideux, comme si Struan n’était pas là.
« Mary s’est fait avorter. Elle n’est qu’une sale putain de sales mécréants de païens et elle l’est depuis des années.
— Ridicule ! Vous êtes fou, petit. Ça ne tient pas debout. Faut pas croire ça, dit Struan.
— J’ai retrouvé Ah Tat et je lui ai fait cracher la vérité à coups de fouet. Mary est une sale catin de Chinois et elle portait un bâtard chinois en elle. Mais Ah Tat lui a donné le poison pour assassiner le bâtard. »
Horatio poussa un hurlement de rire et poursuivit, en entrecoupant son récit de ricanements hideux :
« Mais j’ai retrouvé Ah Tat et je l’ai battue jusqu’à ce qu’elle me dise la vérité. Elle était la maquerelle de
Weitere Kostenlose Bücher