Taï-pan
pendre tous les deux ! »
Il se dégagea d’une brusque secousse et repartit en courant. Struan le suivit, mais la pluie se remit à tomber et il s’arrêta net. Les murailles de nuages étaient déjà au milieu de la baie et la mer bouillonnait à leurs pieds. Il vit l’équipage du canot se hisser précipitamment à bord du China Cloud et disparaître dans l’entrepont. Orlov agita une dernière fois le bras et descendit à son tour.
Struan fit demi-tour et courut vers l’abri de la résidence. Une rafale le gifla et il redoubla d’efforts. Enfin, sous une averse diluvienne, il atteignit le seuil et se retourna.
Quittant la Vallée Heureuse, Horatio courait le long de la plage. Le mur de nuages recouvrait le chantier naval et Horatio s’enfonça dans le brouillard. Struan le vit s’arrêter, lever les yeux, et puis la petite silhouette fut emportée comme une feuille morte.
Struan poussa la porte et la reclaqua vivement, mais avant qu’il ait le temps de pousser les verrous, l’obscurité tomba et un Vent Suprême fit irruption dans le vestibule, rejetant Struan contre le mur du fond. Le vent brisa toutes les fenêtres du rez-de-chaussée et tua trois marins. Et puis il s’en alla.
Struan se ramassa, stupéfait d’être encore vivant. Il courut à la porte et banda tous ses muscles puissants pour la fermer et la verrouiller, et placer la barre en travers. Le tourbillon passa devant les fenêtres, aspirant des débris, des papiers, des lanternes, suçant au-dehors tout ce qui n’était pas solidement fixé.
En courant vers l’escalier, Struan buta sur le cadavre déchiqueté du jeune lieutenant. Il s’arrêta, mais une nouvelle rafale le repoussa et emporta le corps ; luttant contre la succion, Struan lui échappa brusquement et se retrouva dans l’escalier, courant vers l’abri des appartements.
Au moment où la tempête arriva du sud et frappa le White Witch , le navire prit une gîte terrible, sembla vouloir se coucher à bâbord, puis il vira sur ses amarres, se redressa par miracle et, en tremblant, pointa sa proue dans le vent. Brock ramassa Liza et Lillibet et les rallongea sur la couchette. Il leur cria des encouragements, mais elles ne pouvaient entendre ; tous trois se cramponnaient avec l’énergie du désespoir.
De l’eau ruissela le long de l’échelle et puis un paquet de mer s’écrasa contre la porte solidement barrée de la cabine et coula dessous. Un Vent du Diable s’abattit sur le navire. Il y eut comme un coup de tonnerre et le White Witch frémit. Brock comprit qu’une amarre venait de rompre.
À bord du Boston Princess , Shevaun plaquait ses mains sur ses oreilles pour ne plus entendre les glapissements furieux du vent à l’assaut du navire. Cooper sentit partir la dernière amarre. Il cria à Shevaun de se cramponner à quelque chose, mais elle n’entendit pas. Il chancela vers elle et la colla contre un montant en faisant appel à toutes ses forces.
Le navire roula brusquement. Sa lisse bâbord embarqua un paquet de mer et il se mit à sombrer. La tempête, se repaissant de sa proie, la projeta contre le navire russe.
Dans la cabine principale de l’énorme brigantin, un cabinet vitré fut réduit en miettes, dans un éparpillement de bouteilles, de verres et d’argenterie ; Sergueyev se cramponna, jura et fit une prière. Tandis que son navire se redressait, nez au vent, il écarta les débris d’un coup de pied, murmura une autre prière et se versa encore du cognac.
La peste soit de l’Asie, pensa-t-il. Que je voudrais être chez nous ! La peste de cette tempête du diable. La peste des Britanniques. La peste de cette île empuantie. La peste de tout. La peste soit du prince Tergine qui m’a envoyé ici. La peste de l’Alaska – et de l’émigration. Et de l’Amérique et des Américains. Mais bénie soit Shevaun.
Oui, songeait-il tandis que le navire roulait et tanguait et hurlait dans le vent. Et bénie soit notre sainte Russie, notre petite mère, et sa place dans l’Histoire. Le plan du prince Tergine est admirable et juste, et je l’aiderai à le réaliser. Oui. Malédiction soit de cette foutue balle et de mes sacrées souffrances. Plus de longues chevauchées sur la plaine infinie. C’est terminé. Maintenant je suis obligé d’oublier le jeu. Regarde-toi en face, Alexei ! La balle est un coup de chance – voyons, comment dit le Taï-pan ? ah ! oui, le joss. La balle est un coup de joss. De bon joss. Maintenant je puis
Weitere Kostenlose Bücher