Taï-pan
En espèces. Comptant.
— Cet argent n’est pas perdu, dit Tillman. Longstaff nous a donné l’ordre de le remettre comme rançon. Il nous a donné en échange des billets à ordre du gouvernement britannique. Et il y a des dispositions dans le traité. Six millions de taels d’argent pour rembourser. »
Brock éclata d’un rire dur.
« Vous vous figurez que le Parlement va honorer les billets de Longstaff ? Enfin quoi, n’importe quel gouvernement serait renversé à l’instant même, s’il demandait de quoi rembourser de l’opium ! Et quant aux six millions, ça paiera les dommages de guerre. Je connais le Parlement mieux que vous. Mon conseil à tous les deux, c’est de dire adieu à vos six millions de taels. Et je dis que si nous sommes encore en guerre cette année, il n’y aura de nouveau plus de commerce. Et si nous faisons pas de commerce cette année, nous allons tous nous trouver en faillite. Vous, moi, tous les commerçants de Chine. Et même la nom de Dieu de foutue Noble Maison. »
Il tira brusquement sa montre de son gousset. La cérémonie aurait dû être commencée depuis une heure. Le temps passe, songea-t-il. Ouais, mais pas aux dépens de Brock et Fils, bon Dieu. Chez Dirk, ils avaient eu dix-sept ans de bon joss, il était temps que ça change.
Brock pensa avec joie à son second fils, Morgan, qui s’occupait de leurs intérêts en Angleterre, avec une habileté et un manque de scrupules remarquables. Il se demanda si Morgan avait réussi à miner l’influence de Struan au Parlement et dans les milieux bancaires. Nous allons te couler, Dirk, se dit-il, et Hong Kong avec toi.
« Enfin, qu’est-ce qu’on attend, bon Dieu ? s’écria-t-il en se dirigeant à grands pas vers l’officier de marine qui allait et venait devant les fusiliers marins.
— Qu’est-ce qui te prend, Jeff ? murmura Tillman. Tu sais qu’il a raison, pour Hong Kong. Tu sais très bien que tu as tort de l’exciter. »
Cooper sourit, de son mince sourire.
« Brock est trop sûr de lui. Je n’ai pas pu m’en empêcher.
— Si Brock ne se trompe pas, au sujet du demi-million de taels, nous sommes ruinés.
— Oui, mais Struan dix fois plus s’il n’y a pas de remboursement. Il se fera payer, n’aie crainte. Et nous aussi, par la même occasion. (Cooper se retourna pour suivre Brock des yeux.) Tu crois qu’il est au courant de notre marché avec Struan ? »
Tillman haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Mais Brock a raison, pour le traité. Il est stupide. Il va nous coûter cher ! »
Depuis trois mois, Cooper-Tillman étaient en quelque sorte les agents secrets de la Noble Maison. Les bâtiments de guerre britanniques faisaient le blocus devant Canton et la Rivière des Perles, et les commerçants britanniques n’avaient pas le droit de traiter des affaires. Longstaff – à la demande de Struan – avait mis l’embargo afin d’obliger la Chine à signer le traité, sachant fort bien que les entrepôts de Canton regorgeaient de thés et de soies. Mais comme l’Amérique n’avait pas déclaré la guerre à la Chine, les navires américains pouvaient franchir le blocus sans encombre, en faisant un pied de nez aux bâtiments de guerre. Cooper-Tillman avaient donc acheté pour quatre millions de livres de thé à Chen-tse Jin Arn – ou Jin-qua, comme on l’appelait – le plus riche des marchands chinois, et l’avaient expédié à Manille, en principe pour des commerçants espagnols. Le fonctionnaire espagnol de Manille avait empoché un pot-de-vin considérable pour donner les licences d’exportation et d’importation indispensables, et le thé avait été transféré – franco de douane – sur les clippers de Struan qui l’avaient transporté aussitôt en Angleterre. Jin-qua avait été payé avec une cargaison d’opium livrée secrètement par Struan, quelque part le long de la côte, au nord.
Cooper jugeait que c’était un plan parfait. Chacun s’enrichissait et obtenait les marchandises qu’il désirait. Mais il pensait qu’ils auraient fait une fortune s’ils avaient pu, avec leurs navires, transporter eux-mêmes le thé en Angleterre. Et il maudissait la Loi Nautique britannique qui ne permettait qu’aux navires britanniques d’apporter des marchandises dans les ports anglais. Sacrés brigands, pensait-il, le monde entier leur appartient !
« Jeff ! »
Cooper suivit la direction du regard de son associé. Il ne comprit pas tout
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