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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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des robes magnifiques qu’elle avait essayées quand, sur la coiffeuse, brosses à cheveux, peignes, fards et onguents voisinaient avec des bijoux éparpillés autour d’un coffret.
    Malgré ce faste, Algonde ne parvenait pas à se rassurer.
    Les mains de la fée Présine recalèrent la longue tresse châtaine sur le devant du buste, avant de finir délicatement sur ses épaules. Droite derrière Algonde, elle admira le reflet, pour elle, parfait. Si l’on exceptait l’angoisse du regard gris-vert qu’Algonde posait sur elle-même.
    — Est-ce si flou que cela ? lui demanda-t-elle.
    Algonde sentit une boule d’angoisse lui étreindre la gorge. Elle voulut répondre mais n’y parvint pas. Elle fixa son image. Une image que ses yeux, abîmés par la trop vive lumière au sortir de sa captivité, peinaient à se réapproprier. L’image d’une femme aux jambes recouvertes par une longue robe blanche parsemée de violettes, aux hanches rehaussées d’une ceinture d’argent et d’améthystes.
    Présine soupira contre son oreille.
    — Il faut du temps à ton regard pour guérir, Algonde. Du temps pour te réapproprier une identité. Du temps pour accepter la perte de tes pouvoirs.
    — Cela fait deux mois…
    — Que sont deux mois au regard de ces dix années ?
    Présine la fit pivoter vers elle, captura de l’ongle une larme échappée de la frange soyeuse des cils d’Algonde.
    — Il faut accepter ce que tu es. Ni la petite Algonde de Sassenage, ni la dame de compagnie d’Hélène à la Bâtie, encore moins la femme serpent du Furon. Toi. Aujourd’hui. Transformée par toutes ces vies. Laisse-les sur le bord du chemin, mon enfant. Derrière toi.
    Un chapelet de larmes glissa le long des joues d’Algonde que Présine cette fois ne tenta pas d’endiguer. Elle l’enlaça, avec tout l’amour qu’elle lui portait.
    — Tes peurs, ce sont elles, ces Algonde d’hier, qui les promènent, qui les entretiennent. Mais qui sont-elles désormais pour te dicter leur loi ? N’as-tu pas assez payé leur combat, leur acharnement, leur dévotion à la prophétie… ?
    — C’est toi, toi qui me dis cela, grand-mère ? toi qui m’as condamnée à mon destin ? hoqueta Algonde.
    — Je ne t’ai pas condamnée. Je t’ai accompagnée vers l’inéluctable. Avec toute ma tendresse. Ne le sais-tu pas ?
    Elle se dénoua d’Algonde pour l’embrasser sur le front.
    — Ce que tu crains existe, je ne le nie pas. Mais pas pour les tiens. La preuve en est qu’ils t’attendent, tous deux, dans le salon voisin.
    Elle lui releva le menton.
    — Tu ne dois pas douter, jamais, de l’amour que l’on te porte. Tu ne dois pas douter, jamais, de moi.
    Algonde hocha la tête.
    Présine fit apparaître au bout de ses doigts un mouchoir brodé de dentelle.
    — Je vais les rejoindre. Sèche tes larmes et dis adieu à tes chaînes. Pour avancer. Droit devant toi. D’accord ?
    — Oui, trembla la voix d’Algonde.
    Présine tourna les talons avec la grâce aérienne d’une feuille d’automne portée par le vent. La porte, en se refermant sur elle, claqua de la même manière qu’une croûte de givre au dégel, remarqua Algonde avant de moucher son nez. Présine avait raison, elle le savait. Que serait-elle devenue sans elle dans la grotte ? sans ses conseils, sans sa chaleur, sans son rire ? Elle pouvait lui faire confiance.
    Elle s’avança jusqu’à toucher le miroir du doigt. Les bougies allumées dans la pièce l’auréolaient de lumière dans ce léger brouillard qui formait son quotidien.
    Qu’avait-elle à craindre ? Cela faisait dix ans qu’elle attendait ces retrouvailles.
    Si, pendant tout ce temps, elle avait pu regarder vivre les gens qu’elle aimait, ce don de voyance l’avait aussi confrontée au vide que sa mort avait creusé dans le cœur de ses proches. Car, pour tous aux alentours, la femme mutilée par les griffes de Marthe et enterrée ne pouvait être que la bécaroïlle de Sassenage. Qui eût pu imaginer qu’elle avait échangé sa place contre celle de Mélusine ? Comment établir la différence dans la camarde ? La fée défunte lui ressemblait autant que ce reflet.
    Oui, Présine avait raison. La petite Algonde de Sassenage ne pouvait renaître. Il fallait qu’elle l’admette. À l’exception des siens, peut-être, personne ne croirait à son histoire. Elle demeurerait Mélusine, sortie des eaux par quelque stratagème qui la ferait pointer du doigt, qui ombrerait à

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