Terra incognita

œuvrer aux retrouvailles de ses parents. Du coup, l’arrestation arbitraire dont Hélène avait subi la violence, la haine dans le regard de Mathieu, les mots mêmes de ce dernier devenaient incompréhensibles. À moins qu’Elora soit toujours en chemin, retardée par quelque affaire dont elle seule savait l’importance. Auquel cas, Mathieu ne savait toujours rien d’elle ni de sa mère, prisonnière du Furon. L’urgence d’une conversation avec lui s’imposait doublement. Outre le fait qu’elle en devinait l’importance pour son devenir, Hélène souhaitait ardemment retrouver Algonde, son Algonde, délivrée de ce méchant sort et son fils, Constantin, avant qu’il ne soit confronté à son destin.
    Aussi, lorsque la porte s’ouvrit, à une heure inhabituelle pour ce début d’après-midi, se leva-t-elle du lit où elle s’était étendue, le cœur bondissant dans sa poitrine.
    Son espoir se transforma en surprise lorsque, en place du bandit, elle vit le prévôt Hugues de Luirieux franchir le seuil et lui offrir révérence. Un sursaut de joie la traversa.
    — Vous, sire de Luirieux ? Est-ce à dire que je suis libre ?
    Il se redressa, l’œil carnassier, la bouche ronde de convoitise.
    — Il ne tient qu’à vous, dame Hélène. À vous seule.
    Un instant d’étonnement. De doute. Puis, soudain, d’effroi. Hélène se durcit.
    — Dois-je comprendre que vous êtes de connivence avec ces brigands ?
    La main de Luirieux s’envola dans un geste léger.
    — Brigands… Comme vous y allez, ma chère. Auriez-vous été molestée, dépouillée ?
    — Non, mais…
    Il s’avança pour lui prendre la paume. Dubitative autant que désappointée, elle le laissa la porter à ses lèvres et, tout aussitôt, ajouter :
    — J’ai reçu peu de temps avant votre retour un bref de votre père, me recommandant de veiller sur vous et de vous conduire en sécurité.
    — Vraiment ? s’étonna Hélène, le doute au cœur.
    Elle n’avait jamais apprécié cet homme qui avait trop longtemps louvoyé dans le sillage de Philibert de Montoison à l’époque où ce dernier voulait la contraindre aux épousailles 1 . Ils étaient semblables l’un à l’autre et si elle s’était débarrassée de Montoison, voir son compère réintégrer la vie civile et la charge de prévôt ne lui avait guère été agréable. Elle avait dû pourtant admettre qu’il avait fait son travail convenablement jusque-là et que personne dans la contrée n’avait eu à s’en plaindre. L’œil pourtant qu’il posait sur elle l’incita à la méfiance. Elle recula et gagna un fauteuil pour marquer entre eux une distance honorable.
    Anticipant sa demande, Luirieux récupéra un parchemin dissimulé dans le revers de son pourpoint de velours rouge.
    — Voici cette lettre. La voulez-vous lire ?
    Elle tendit la main. Reconnut sans hésiter l’écriture de son père comme son sceau, brisé. Parcourut la feuille des yeux, avant de relever la tête.
    — Je ne vois rien ici qui justifie d’avoir massacré mon escorte. Tout au contraire, mon père vous recommande de la renforcer jusqu’à Bressieux afin que j’y récupère mes affaires et mes gens, puis de me conduire au castel de Sassenage qu’il me donne. Je ne suis ni dans l’un ni dans l’autre.
    — Certes chère amie, certes.
    — Je ne suis pas votre amie et vous me devez obligeance, je vous le rappelle, se froissa-t-elle.
    Un rire souleva la gorge de Luirieux. La seconde d’après, ses mains aux veines saillantes emprisonnaient les bras du faudesteuil et il soufflait au-dessus d’Hélène une haleine aux relents de vin épicé.
    — Les choses ont changé, ma douce. Je ne suis pas Philibert de Montoison et votre Djem n’est plus de ce monde pour vous mettre à l’abri de mes intentions.
    Elle déglutit. Se pouvait-il que Mathieu se soit associé à cet homme par souci de la tourmenter ? Si le sang quitta son visage, Hélène refusa de capituler.
    — Écartez-vous pour me les signifier. Vous empestez.
    Leurs regards s’affrontèrent, si proches l’un de l’autre qu’Hélène se sentit transpercée jusqu’à l’âme. Luirieux se recula pourtant, aussi brusquement qu’il s’était approché. Nouant ses mains dans son dos, il gagna la croisée, s’amusa un instant du jeu de Jean avec un chiot qu’il lui avait ramené la semaine précédente, davantage pour agacer Mathieu que pour plaire à l’enfant.
    Derrière lui, Hélène se