Terribles tsarines
qu'elle craint de décevoir les courtisans, et peut-être même son fiancé. Mue par une sollicitude inhabituelle, la tsarine lui fait apporter du rouge et lui recommande de se farder les joues afin de paraître à son avantage. Tout émue par le courage de Figchen, elle constate que le devoir maternel la conduit vers cette charmante petite personne, qui ne lui est rien mais qui voudrait devenir russe, plutôt que de la dirigervers ce neveu dont elle a fait son fils adoptif et qui souhaiterait rester allemand.
Pendant que la tsarine se penche sur ce délicat problème familial, Johanna se préoccupe, elle, de haute politique. La diplomatie secrète est sa marotte. Elle reçoit dans son appartement les adversaires habituels du chancelier Alexis Bestoujev, ce Russe indécrottable. La Chétardie, Lestocq, Mardefeld, Brummer se retrouvent chez elle pour des conciliabules clandestins. Ce qu'espèrent ces apprentis conspirateurs, c'est que, dirigée par sa mère, la jeune Sophie use de son influence sur le grand-duc Pierre et même sur la tsarine, qui visiblement la tient en estime, pour obtenir la chute du chef de la diplomatie russe. Mais Alexis Bestoujev n'est pas resté inactif tout au long de ces manigances. Grâce à ses espions personnels, il a pu faire intercepter et décrypter les lettres écrites en langage chiffré par La Chétardie et expédiées aux diverses chancelleries européennes. Une fois en possession de ces pièces compromettantes, il les met sous les yeux d'Élisabeth. C'est toute une liasse de feuillets aux formules irrévérencieuses que la tsarine découvre avec horreur. Tournant les pages, elle lit au hasard : « On ne peut rien se promettre de la reconnaissance et de l'attention d'une princesse [l'impératrice] aussi dissipée. » Ou encore : « Sa vanité, sa légèreté, sa conduite déplorable, sa faiblesse et son étourderie ne laissent place à aucune négociation sérieuse. » Ailleurs, La Chétardie critique Sa Majesté pour son goût excessif de « latoilette et de « la bagatelle », et souligne qu'elle est totalement ignorante des grandes affaires de l'heure, lesquelles « l'intéressent moins qu'elles ne l'effarouchent ». A l'appui de ces calomnies, La Chétardie cite l'opinion malveillante de Johanna, qu'il présente, du reste, comme une espionne à la solde de Frédéric II. Atterrée par ce déballage de vilenies, Élisabeth ne sait plus où sont ses amis, ni si elle en a encore. Elle s'est mis à dos Marie-Thérèse à cause de l'impudent ambassadeur d'Autriche, Botta, qu'elle a traité de « brigand de la diplomatie » : faut-il maintenant qu'elle se brouille avec Louis XV à cause de La Chétardie qui n'est qu'un sac à ragots ? Pour bien faire, on devrait l'expulser dans les vingt-quatre heures. Mais la France ne va-t-elle pas s'offenser de cet affront, qui ne vise pourtant pas un État mais un homme ? Avant de sévir ouvertement, Élisabeth convoque Johanna et lui crie à la figure son indignation et son mépris. Les lettres, étalées sur la table, accusent directement la mère de Sophie. Épouvantée par l'effondrement de tous ses rêves de grandeur, la princesse d'Anhalt-Zerbst s'attend à être immédiatement chassée de Russie. Cependant, elle bénéficiera d'un sursis providentiel. Par égard pour l'innocente fiancée de son neveu, Élisabeth consent à laisser Johanna sur place, du moins jusqu'au mariage. Cette mansuétude ne coûte guère à la tsarine. Elle y voit même un geste de patiente charité, dont le bénéfice ne sera pas perdu. En vérité, elle plaint sa future belle-fille d'avoir une mère dénaturée. Sonengouement pour Sophie est si vif qu'elle espère gagner par sa grandeur d'âme non seulement la reconnaissance de la jeune fille, mais peut-être aussi son affection.
Subitement, le climat délétère de Saint-Pétersbourg devient insupportable à Sa Majesté et, cédant à un de ces élans mystiques qui la possèdent de loin en loin, elle décide d'accomplir un pèlerinage au couvent de Troïtsa, la laure de la Trinité-Saint-Serge. Elle emmènera son neveu, Sophie, Johanna et Lestocq. Avant de partir, elle fait dire à Alexis Bestoujev qu'elle lui laisse le soin de régler le sort de l'ignoble La Chétardie. Toute punition qu'il jugera bon d'infliger à ce faux ami a d'avance son approbation. S'étant ainsi lavé les mains des salissures de la capitale, elle part, d'un cœur allégé, vers Dieu.
Dès les premières heures du séjour
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