Terribles tsarines
découvrira la loque qu'on lui ramène en guise de fiancé. La petite vérole a ravagé la figure de Pierre. Le crâne rasé, la face tuméfiée, les prunelles injectées de sang, les lèvres craquelées, il est la caricature du jeune homme qu'il était quelques mois auparavant. Devant cet épouvantail ricanant, la tsarine est tentée d'excuser par avance la réaction de Catherine. Pour améliorer le physique du « revenant », elle le coiffe d'une abondante perruque. Affublé de ces fausses boucles poudrées, il est encore plus hideux que sous son aspect naturel. Mais les dés sont jetés. Il faut braver le mauvais sort. Dès l'arrivée des voyageurs et leur installation au palais d'Hiver, Catherine accourt pour voir son fiancé miraculeusement rétabli. Élisabeth assiste, le cœur serré, à la rencontre. En apercevant le grand-duc Pierre, Catherine semble paralysée par l'horreur. La bouche entrouverte, les yeux écarquillés, elle bégaie un compliment pour féliciter son fiancé de sa guérison, fait une courte révérence et s'enfuit, comme si elle venait de se heurter à un spectre.
Le 10 février, jour anniversaire de la naissancedu grand-duc, l'impératrice, consternée, lui déconseille même de se montrer en public. Cependant, elle espère encore qu'avec le temps les défauts physiques de son neveu s'atténueront. Ce qui lui paraît plus grave, pour l'heure, c'est le peu d'intérêt qu'il témoigne à sa fiancée. D'après les on-dit de l'entourage de Catherine, Pierre se serait vanté devant elle d'avoir eu des maîtresses. Mais est-il seulement capable de satisfaire une femme dans les jeux de l'amour ? Est-il normalement constitué, « de ce côté-là » ? Et la charmante Catherine sera-t-elle assez coquette, assez inventive pour éveiller le désir d'un mari « soliveau » ? Donnera-t-elle des enfants au pays qui les attend déjà ? Peut-on vaincre par des remèdes la déficience sexuelle d'un homme pour qui la vue d'un régiment en ordre de marche est plus exaltante que celle d'une jeune femme allongée dans la pénombre de son alcôve ? Dévorée de doutes, la tsarine consulte des médecins. Après de doctes conciliabules, ils décident que, si le grand-duc buvait moins, il serait davantage attiré par les dames. D'ailleurs, à leur avis, cette inhibition n'est que passagère et un « mieux » se dessinera bientôt. C'est également l'opinion de Lestocq. Mais ces paroles lénifiantes ne suffisent pas à calmer les appréhensions de l'impératrice. Elle s'étonne que Catherine et Pierre ne soient pas plus pressés de se marier. Auraient-ils peur des merveilleux plaisirs de la nuit ? S'ils s'accommodent de tous les retards qui séparent les rêves pudiques de la réalité charnelle, Élisabeth, elle, est impatiente pour deux. Au boutde longues discussions, la date de la cérémonie est fixée irrévocablement. Sa Majesté décide que les noces les plus superbes du siècle auront lieu le 21 août 1745.
1 Catherine II : Mémoires.
2 Surnom péjoratif signifiant « la mère Razoumovski ».
3 K. Waliszewski, op. cit.
4 Paroles rapportées par K. Waliszewski : La Dernière des Romanov, Élisabeth I re .
5 Cf. Daria Olivier, op. cit.
IX
LA RUSSIE ÉLISABÉTHAINE
Quand il s'agit d'organiser une fête de première importance, Élisabeth ne laisse rien au hasard. Le matin de la cérémonie nuptiale, elle a assisté à la toilette de Catherine, l'a examinée, nue, de la tête aux pieds, a dirigé son habillement en vêtements de dessous et de dessus par les femmes de chambre, a discuté avec le coiffeur la meilleure façon de boucler ses cheveux, a choisi, sans discussion possible, la robe en brocart d'argent, à jupe large et à manches courtes, avec une traîne brodée de motifs de roses, puis, vidant son coffre à bijoux, a complété la parure avec des colliers, des bracelets, des bagues, des broches et des pendants d'oreilles, dont le poids rend tout mouvement difficile et oblige la grande-duchesse à un maintien hiératique. Le grand-duc, lui aussi, est voué au tissu d'argent et à la joaillerie impériale. Mais, autant sa fiancée peut s'apparenter à une vision céleste, autant lui, avec son air de singe travesti en prince, donnerait enviede se taper les cuisses. Les bouffons habituels de Sa Majesté Anna Ivanovna étaient moins drôles dans leurs grimaces que lui quand il essaie de paraître sérieux.
Le cortège traverse Saint-Pétersbourg au milieu d'une multitude
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