Terribles tsarines
voyage, qui durera trois mois, Élisabeth feint d'ignorer qu'autour d'elle le monde bouge : l'Angleterre, croit-on, se prépare à attaquer les Pays-Bas, alors que la France envisagerait d'en découdre avec l'Allemagne et que les Autrichiens s'apprêteraient à affronter l'armée française. Les cabinets de Versailles et de Vienne rivalisent d'astuce pour obtenir l'aide de la Russie et Alexis Bestoujev tergiverse, tant bien que mal, en attendant des instructions précises de Sa Majesté. Or, voici que l'impératrice, sans doute alarmée par les rapports de son chancelier, décide de regagner Moscou. Aussitôt la cour, ramassant ses cliques et ses claques, prend, en longue et lente caravane, le chemin du retour. En se retrouvant dans la vieille cité du sacre, Élisabeth songe, certes, à s'accorder plusieurs jours de répit. Elle se dit lasse de toute cette agitation de Kiev. Mais il suffit qu'elle respire l'air de Moscoupour être de nouveau avide de distractions et de surprises. A son initiative, les bals, les soupers, les opéras et les mascarades recommencent. Ils se succèdent à un rythme tel que même les jeunes gens finissent par demander grâce.
Toutefois, comme la date des épousailles approche, Élisabeth se résout à quitter Moscou la première afin de veiller aux préparatifs de la cérémonie, qui doit avoir lieu à Saint-Pétersbourg. Les fiancés et Johanna la suivent, à quelques jours de distance. Mais, en descendant de voiture au relais de Khotilovo, le grand-duc Pierre est saisi de frissons. Des taches rosâtres apparaissent sur son visage. Pas de doute possible : c'est la petite vérole. Rares sont ceux qui en réchappent. On envoie un courrier à l'impératrice. En apprenant la menace qui pèse sur son fils adoptif, Élisabeth est frappée d'une terreur prémonitoire. Comment pourrait-elle oublier que, moins de quinze ans auparavant, le jeune tsar Pierre II a succombé à ce mal, la veille de son mariage ? Et par une étrange coïncidence, en ce mois de janvier 1730, la fiancée, une Dolgorouki, s'appelait elle aussi Catherine. Ce prénom porterait-il malheur à la dynastie des Romanov ? Élisabeth refuse de le croire, de même qu'elle refuse de croire à la fatalité de la contagion. Décidée à se rendre auprès de l'héritier du trône pour le soigner et le guérir, elle donne l'ordre d'atteler. Entre-temps, Catherine, affolée, est partie pour la capitale. Chemin faisant, elle croise le traîneau d'Élisabeth. Réunies par l'angoisse, l'impératrice, quicraint le pire pour son neveu, et la fiancée, qui tremble de perdre son futur mari, tombent dans les bras l'une de l'autre. Cette fois, Élisabeth ne doute plus d'avoir été guidée par le Seigneur en accordant sa confiance à cette petite princesse de quinze ans : Catherine est bien l'épouse qu'il faut à ce benêt de Pierre et la belle-fille qu'il lui faut à elle pour être heureuse et finir ses jours en paix. Elles repartent ensemble pour Khotilovo. En arrivant au village, elles trouvent le grand-duc qui grelotte sur un méchant grabat. Tout en le regardant s'agiter et transpirer, la tsarine se demande si la dynastie de Pierre le Grand ne va pas s'éteindre avec ce malade pitoyable. Quant à Catherine, elle se voit déjà retournant à Zerbst, avec pour seul bagage le souvenir d'une fête tragiquement écourtée. Puis, à la demande de l'impératrice, qui redoute la contagion pour la jeune fille juste avant le mariage, Catherine accepte de regagner Saint-Pétersbourg avec sa mère, laissant Sa Majesté au chevet du grand-duc.
Durant plusieurs semaines, Élisabeth veille, au fond d'une cabane rustique et mal chauffée, sur cet héritier qui lui joue le mauvais tour d'abandonner la partie au moment où ils étaient tous deux sur le point de la gagner. Mais est-ce par charité chrétienne ou par intérêt pour l'hérédité monarchique qu'elle se dévoue ainsi à un être qu'elle n'aime pas ? Elle ne cherche même plus à analyser la nature des liens qui l'attachent à ce garçon stupide et ingrat. Une fatalité, qu'elle n'osedéfinir comme étant l'expression de la volonté divine, la pousse dans le dos. Par chance, peu à peu, la fièvre de Pierre diminue et son esprit retrouve un semblant de lucidité.
A la fin du mois de janvier 1745, l'impératrice quitte Khotilovo pour conduire son neveu, guéri, à Saint-Pétersbourg. Il a tellement changé au cours de sa maladie qu'Élisabeth craint la déception de Catherine quand elle
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