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Terribles tsarines

Terribles tsarines

Titel: Terribles tsarines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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sentsi seule après le départ de Johanna que sa mélancolie se transforme en un désespoir silencieux. Témoin de cet abattement, Élisabeth veut croire encore qu'en voyant sa femme malheureuse Pierre se rapprochera d'elle et que les larmes de Catherine obtiendront ce qu'elle n'a su éveiller en lui par la coquetterie. Mais, de jour en jour, le malentendu entre les époux s'accentue. Vexé de ne pouvoir remplir son devoir conjugal comme Catherine l'y invite chaque nuit par ses mines gentiment provocantes, il se venge en affirmant, avec un cynisme soldatesque, qu'il aime ailleurs et qu'il a même une liaison dont il ne saurait se passer. Il lui parle de certaines de ses demoiselles d'honneur qui auraient pour lui de grandes bontés. Dans son désir de l'humilier, il pousse l'outrecuidance jusqu'à railler sa soumission envers la religion orthodoxe et son respect pour l'impératrice, cette dévergondée qui affiche ses relations avec l'ancien moujik Razoumovski : les turpitudes de Sa Majesté sont, dit-il, la fable de tous les salons de la capitale.
    Élisabeth serait plutôt amusée par les démêlés du ménage grand-ducal si sa bru avait la bonne idée de tomber enceinte entre deux bouderies. Mais, au bout de neuf mois de cohabitation, la jeune femme a le ventre aussi plat que le jour de ses noces. Peut-être est-elle encore vierge ? Cette stérilité prolongée apparaît à Élisabeth comme une atteinte à son prestige personnel. Dans un mouvement de colère, elle convoque sa belle-fille improductive, la rend seule responsable de la non-consommation du mariage,l'accuse de frigidité, de maladresse et, reprenant les griefs du chancelier Alexis Bestoujev, va jusqu'à prétendre que Catherine partage les idées politiques de sa mère et qu'elle travaille en secret pour le roi de Prusse.
    La grande-duchesse a beau protester et pleurer devant sa belle-mère brusquement changée en furie, Élisabeth, plus souveraine que jamais, lui annonce que, désormais, le grand-duc et elle devront marcher droit, que leur vie, tant intime que publique, sera soumise à des règles strictes, rédigées sous forme d'« instructions » par le chancelier Bestoujev, et que l'exécution de ce programme sera assurée par « deux personnes de distinction » : un maître et une maîtresse de cour », nommés par Sa Majesté. Le maître de cour sera chargé d'apprendre à Pierre la bienséance, le langage correct et les idées saines qui conviennent à son état ; la maîtresse de cour incitera Catherine à se plier, en toute circonstance, aux dogmes de la religion orthodoxe ; elle lui interdira la moindre intrusion dans le domaine de la politique, éloignera d'elle les jeunes gens susceptibles de la détourner de l'amour conjugal et lui enseignera certaines habiletés féminines propres à éveiller le désir de son époux, afin que, « par là, lit-on dans le document, un rejeton de notre très haute maison puisse être produit 1  ».
    En application de ces directives draconiennes,défense est faite à Catherine d'écrire directement à qui que ce soit. Toutes ses lettres, y compris celles destinées à ses parents, sont préalablement soumises à l'examen du Collège des Affaires étrangères. En même temps, on écarte de la cour les quelques gentilshommes dont la compagnie la distrait parfois dans sa solitude et son chagrin. Ainsi, par ordre de Sa Majesté, trois Tchernychev, deux frères et un cousin, de belle tournure et de commerce agréable, sont envoyés comme lieutenants dans des régiments cantonnés à Orenbourg. La maîtresse de cour, à qui incombe la mise au pas de Catherine, est une cousine germaine de l'impératrice, Marie Tchoglokov, et le maître de cour n'est autre que son mari, un homme d'influence actuellement en mission à Vienne. Ce ménage modèle est destiné à servir d'exemple au couple grand-ducal. Marie Tchoglokov est un parangon de vertu, puisqu'elle est dévouée à son époux, qu'elle passe pour être pieuse, qu'elle voit tout par les yeux de Bestoujev et qu'à vingt-quatre ans elle a déjà eu quatre enfants ! Au besoin, on adjoindra aux Tchoglokov un mentor supplémentaire, le prince Repnine. Lui aussi devra initier Leurs Altesses à la sagesse, à la dévotion et à la préférence russe.
    Avec de tels atouts en mains, Élisabeth est sûre d'arriver à dompter et à assortir ce ménage désuni. Mais, très vite, elle s'aperçoit qu'il est aussi malaisé d'éveiller l'amour réciproque dans un

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