Terribles tsarines
moutonnante, qui se prosterne au passage des voitures, se signe précipitamment et psalmodie des vœux de bonheur au jeune couple et à la tsarine. Jamais il n'y a eu autant de cierges allumés dans la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan. Tout au long de la liturgie, Élisabeth est sur des charbons ardents. Elle s'attend à une de ces incongruités dont son neveu est coutumier dans les circonstances les plus graves. Mais l'office se déroule sans anicroche, y compris l'échange des anneaux. Aux dernières paroles du prêtre, la tsarine pousse un soupir de soulagement. Après avoir risqué l'ankylose en restant debout, durant des heures, à l'église, elle a hâte de se dégourdir les jambes au bal qui, comme il est d'usage, clôt les réjouissances. Cependant, malgré le plaisir qu'elle prend à la danse, elle n'oublie pas que l'essentiel de l'affaire, ce n'est pas la bénédiction, encore moins les menuets et les polonaises, mais l'accouplement qui aura lieu, en principe, bientôt. Dès neuf heures du soir, interrompant la fête, elle décide qu'il est temps pour les jeunes mariés de se retirer. En duègne consciencieuse, elle les conduit à l'appartement conjugal. Des dames et des demoiselles d'honneur, tout émoustillées, leur font escorte. Le grand-duc s'éclipse discrètement pour enfiler sa tenue de nuitet les soubrettes de la grande-duchesse profitent de l'absence provisoire de son mari pour passer à la jeune fille une chemise aux transparences suggestives, coiffer ses cheveux d'un léger bonnet de dentelle et la mettre au lit sous le regard vigilant de l'impératrice. Quand Sa Majesté juge que la « petite » est « prêter elle sort avec une lenteur théâtrale. Au vrai, elle déplore que la décence l'empêche d'assister à la suite. Des interrogations absurdes la tourmentent. Où en est son neveu, à quelques minutes de l'épreuve ? A-t-il en lui assez de ressort viril pour contenter cette enfant innocente ? Sauront-ils, l'un et l'autre, se passer de ses conseils pour s'aimer ? Elle a remarqué, avant de quitter la pièce, que Catherine avait une expression apeurée et un voile de larmes devant les yeux. Certes, elle n'ignore pas que ce genre d'appréhension virginale ne peut qu'exciter le désir d'un homme normalement constitué. Mais est-ce le cas du grand-duc ? N'y a-t-il pas, dans cet être au tempérament excentrique, une impuissance qu'aucune femme ne serait capable de guérir ? En retrouvant Alexis Razoumovski au terme d'une journée épuisante, Élisabeth se félicite de n'avoir pas à se poser la même question en ce qui les concerne tous deux.
Les jours suivants, elle essaie en vain de surprendre dans le regard de Catherine les signes de l'entente physique. La jeune mariée paraît de plus en plus songeuse et désabusée. En interrogeant ses caméristes, Élisabeth apprend que, le soir, après avoir rejoint sa femme dans le lit, le grand-ducPierre, au lieu de la caresser, prend plaisir à jouer avec des figurines de bois peint sur sa table de chevet. Souvent aussi, disent-elles, abandonnant la grande-duchesse, il prétexte un mal de tête pour aller boire et rire avec quelques amis, dans la pièce voisine. Ou bien encore il s'amuse à faire manœuvrer des domestiques en les commandant comme si c'étaient des soldats à la parade. Ce ne sont certes que des enfantillages, mais ils ne laissent pas d'être offensants, et même inquiétants, pour une épouse qui ne demande qu'à être révélée.
Si Catherine reste sur sa faim aux côtés d'un mari défaillant, sa mère se dévergonde sans retenue. En quelques mois passés à Saint-Pétersbourg, elle a trouvé le moyen de devenir la maîtresse du comte Ivan Betski. On raconte qu'elle est enceinte des œuvres de ce gentilhomme et que, si la grande-duchesse tarde à donner un héritier à l'empire, sa chère maman lui offrira, elle, un petit frère ou une petite sœur dans un proche avenir. Indignée par l'inconduite de cette femme qui, par égard pour Catherine, aurait dû modérer ses ardeurs pendant son séjour en Russie, Élisabeth l'invite fermement à quitter le pays où elle n'a apporté que déshonneur et sottise. Après une scène pathétique d'excuses et de justifications, auxquelles la tsarine oppose un mépris glacial, Johanna boucle ses valises et retourne à Zerbst sans prendre congé de sa fille, dont elle redoute les reproches.
Bien qu'ayant été, tous ces temps-ci, consternée par les extravagances de sa mère, Catherine se
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