Terribles tsarines
couple disparate que d'instituer la paix entre deux pays aux intérêts opposés. Dans le monde comme dans samaison règnent les incompréhensions, les rivalités, les exigences, les affrontements et les ruptures. De menaces de guerre en escarmouches locales, de traités bâclés en concentrations de troupes aux frontières, on en arrive, après quelques victoires des armées françaises dans les Provinces-Unies, à ce qu'Élisabeth accepte d'envoyer un corps expéditionnaire aux confins de l'Alsace. Sans ouvrir les hostilités contre la France, elle incite celle-ci à se montrer moins intransigeante dans ses pourparlers avec ses adversaires. Le 30 octobre 1748, par le traité de paix d'Aix-la-Chapelle, Louis XV renonce à la conquête des Pays-Bas et Frédéric II conserve la Silésie. La tsarine, elle, tire son épingle du jeu, n'ayant rien gagné, rien perdu, et ayant déçu tout le monde. Le seul souverain à se féliciter de cet arrangement, c'est le roi de Prusse.
Mais Élisabeth a maintenant la conviction que Frédéric II entretient à Saint-Pétersbourg, dans les murs mêmes du palais, un de ses partisans les plus efficaces et les plus dangereux : le grand-duc Pierre. Son neveu, qu'elle n'a jamais pu souffrir, lui devient de jour en jour plus étranger et plus odieux. Elle confie à Razoumovski : « Mon neveu m'a dépitée au plus haut point !... C'est un monstre, que le diable l'emporte !... » Pour assainir l'atmosphère de germanophilie dont s'entoure le grand-duc, elle s'acharne à éliminer de sa suite les gentilshommes holsteinois et à éloigner ceux qui tentent de les remplacer. Il n'est pas jusqu'au valet de chambre de Pierre, un certain Rombach, qui ne soit jeté enprison sous un prétexte futile. Pierre se console de ces avanies en se livrant à des lubies extravagantes. Il ne se sépare plus de son violon, sur lequel il racle des heures durant à en écorcher les oreilles de sa femme. Ses discours sont tellement décousus que parfois Catherine le croit frappé de folie et a envie de fuir. S'il la voit occupée à lire, il lui arrache le livre des mains et lui ordonne de jouer avec lui à une bataille entre les soldats de bois dont il fait collection. S'étant pris, depuis peu, d'une vraie passion pour les chiens, il installe une dizaine de barbets dans la chambre conjugale, malgré les protestations de Catherine. Comme elle se plaint de leurs aboiements et de leur odeur, il l'insulte et refuse de lui sacrifier sa meute. Dans son isolement, Catherine cherche en vain un ami ou, du moins, un confident. Elle finit par se rabattre sur le médecin de l'impératrice, l'inamovible Lestocq, qui lui marque de l'intérêt et même de la sympathie. Elle espère s'en être fait un allié, aussi bien contre la « clique des Prussiens » que contre Sa Majesté, qui lui reproche toujours son infécondité alors qu'elle n'y est pour rien. Empêchée de correspondre librement avec sa mère, elle a recours au médecin pour acheminer ses lettres, par des voies sûres, à leur destinataire. Or, Bestoujev, détestant Lestocq, en qui il voit un rival potentiel, est ravi d'apprendre par ses espions que le « médicastre rend service à la grande-duchesse en transgressant les instructions impériales. Fort de ces révélations, il intervient auprès de Razoumovski et incrimine Lestocq d'êtreun agent à la solde des chancelleries étrangères et de travailler à desservir le « grand favori » dans l'opinion de Sa Majesté. Cette délation concorde avec les dénonciations d'un secrétaire du médecin de cour, un certain Chapuzot, qui, sous la torture, avoue tout ce qu'on lui demande. Devant ce faisceau d'indications plus ou moins probantes, Élisabeth se met sur ses gardes. Depuis plusieurs mois déjà, elle évite de se faire soigner par Lestocq. S'il n'est plus fiable, il doit payer.
Dans la nuit du 11 au 12 novembre 1748, Lestocq est brusquement tiré de son sommeil et conduit à la forteresse Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Une commission spéciale présidée par Bestoujev en personne, avec comme assesseurs le général Apraxine et le comte Alexandre Chouvalov, accuse Lestocq d'être vendu à la Suède et à la Prusse, de correspondre clandestinement avec Johanna d'Anhalt-Zerbst, mère de la grande-duchesse Catherine, et de comploter contre l'impératrice de Russie. Soumis à la torture, et malgré ses serments d'innocence, il sera déporté à Ouglitch et privé de tous ses biens. Cependant, dans un
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