Théodoric le Grand
pour les chrétiens d’Athanase. Encore
moins aujourd’hui. Ce document vient de parvenir de Constantinople. Prends-en
connaissance. Tu verras que les sénateurs avaient peut-être de bonnes raisons
de craindre l’Empire d’Orient.
Rédigé en grec et en latin, paraphé du monogramme
grossièrement imprimé de Justin, il portait la signature plus élaborée et bien
reconnaissable du patriarche Épiphane. Comme de coutume, le texte était
prolixe, abondant en compliments fleuris, effusions, salutations verbeuses et
autres bons souhaits, mais son contenu se résumait à une seule phrase : il
décrétait la confiscation immédiate de toutes les églises ariennes à travers
l’Empire, lesquelles seraient offertes à l’Église catholique pour être
consacrées à son culte.
Stupéfait, je m’écriai :
— Cette présomption est si injustifiée qu’elle
m’apparaît comme une insulte directe et flagrante à ton égard ! Justin et
ceux qui l’ont inspiré doivent se douter que tu ne t’y soumettras jamais… et
qu’ils vont donc provoquer un conflit. Leur donneras-tu ce plaisir ?
— Pas tout de suite. J’ai auparavant un autre combat à
mener, afin de venger l’affront plus personnel encore, peut-être, perpétré par
les Vandales sur la personne de ma royale sœur. Les escadres de guerre de
Lentinus seront bientôt prêtes, dans tous les ports de l’Italie, à embarquer
nos troupes pour les lancer sur Carthage.
— Au vu des circonstances, est-il sage, demandai-je,
d’engager autant de forces sur un si lointain…
— Je me suis déjà personnellement engagé, répliqua-t-il
impatiemment. Un roi ne peut renier ses décisions.
Je soupirai, et gardai le silence. Théodoric n’aurait jamais
eu, naguère, une arrogance aussi inflexible.
— Quant à ceci, poursuivit-il en jetant avec mépris le
document, je vais simplement me contenter dans un premier temps d’opposer un
prêtre à un autre. J’ai envoyé une troupe à Rome pour ramener ici notre
patriarche et évêque, ou bien dignement escorté, ou bien traîné par sa chevelure
tonsurée, à son libre choix. Je vais l’expédier à Constantinople par le premier dromo, afin d’exiger le retrait de ce décret.
— Quoi ? Tu veux envoyer l’évêque de Rome
s’humilier aux pieds de celui de Constantinople ? Tu espères que celui qui
s’honore lui-même du titre de souverain pontife ira plaider la cause des
hérétiques ? Ma foi, permets-moi de te le dire, si Jean possède un reste
d’honneur et la moindre foi en sa croyance, il préférera souffrir le martyre
plutôt que de t’obéir.
Théodoric répliqua aussitôt, inexorable :
— Il fera son choix. J’ai dans l’idée qu’ayant
contribué à son exécution, le pape Jean n’aura pas oublié la façon abominable
dont a péri Boèce. Je ferai jaillir autant d’yeux qu’il sera nécessaire –
les siens et ceux de ses successeurs, s’il le faut – jusqu’à ce qu’un
souverain pontife exécute mes ordres.
*
— Aucune paire d’yeux n’a été sacrifiée et un seul
pontife a suffi, racontai-je à Livia. Le pape Jean n’y est sans doute pas allé de
gaieté de cœur ni de son plein gré, mais il s’y est rendu. Théodoric agit
parfois en dépit de tout bon sens, mais il a eu la lucidité d’estimer
qu’évêques et patriarches, à l’instar du commun des mortels, préfèrent vivre en
ce monde plutôt que de prendre le risque de gagner le prochain. Et non
seulement le pape Jean a couru à Constantinople, mais il a précisément accompli
ce dont le roi l’avait chargé. Pourrais-je avoir un peu de vin ?
Éreinté, couvert de poussière et en piteux état, je venais
juste d’arriver à Rome. Pendant que la servante me versait à boire, Livia
demanda :
— Le pape de Rome est vraiment allé demander que les
églises ariennes ne soient pas confisquées au profit de l’Église
catholique ? C’est pourtant à lui qu’elles auraient bénéficié. C’était une
véritable manne, qu’il refusait là…
— Théodoric l’avait exigé. C’est donc ce qu’il a
demandé. Et obtenu. Le pape Jean est rentré de Constantinople porteur d’un
document officiel contremandant le précédent, signé de Justin et d’Épiphane.
Leur décision antérieure est annulée. La confiscation sera appliquée dans les
strictes limites de l’Empire d’Orient. Par dispense gracieuse de l’empereur,
toutes les propriétés ariennes à travers le royaume des
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