Thorn le prédateur
cousin. Et Strabo peut compter sur de solides alliés. Le roi des Scires,
Edica, que mon père vainquit peu de temps avant sa mort. Et ces Sarmates du roi
Babai, que vous et mon frère venez juste de défaire. Les Scires et les Sarmates
ne lui sont donc sans doute plus d’un grand secours, désormais. Il n’en reste
pas moins qu’à la suite de la mort de mon oncle et de mon père, Théodoric
Strabo s’est proclamé seul roi. Non seulement des Ostrogoths, mais aussi de la
lignée des Balthes, ces Wisigoths établis depuis longtemps plus à l’ouest, et
qui n’ont sans doute jamais entendu parler de lui.
— Il doit avoir le cerveau aussi dérangé que les yeux.
Se proclamer roi d’une nation ou d’une autre ne procure aucune légitimité en
soi.
— C’est vrai. Et la plupart de ceux qui avaient été
fidèles à mon père ont à présent reconnu mon frère comme son successeur.
— Seulement la plupart ? Pourquoi pas tous ?
Notre Théodoric combat pour sécuriser les terres, le voisinage et les droits de
chaque Ostrogoth. Le Louche en fait-il autant ?
— Il n’aura peut-être pas à le faire, Thorn. L’un des
empereurs, Léon ou Julius Nepos, pourrait bien lui offrir tout cela.
— Je ne comprends pas.
— Je vous l’ai dit, plusieurs influences sont ici à l’œuvre.
Depuis un temps immémorial, l’Empire romain craint et exècre l’ensemble des
nations germaniques, et a toujours fait de son mieux pour susciter entre elles
des querelles, afin de faire diversion et de les empêcher d’envahir l’Empire.
C’est particulièrement vrai depuis qu’il a adopté la foi chrétienne, tandis que
les Germains embrassaient sa rivale, la croyance arienne. (Elle leva les
épaules et le pâle duvet de ses sourcils.) Akh , Rome et Constantinople
ont pourtant été heureuses d’appeler les peuples germaniques en renfort, quand
les Huns parcouraient le monde en pillant tout sur leur passage. Mais à compter
de la mort d’Attila et de la dispersion de ces sauvages, les empereurs d’Orient
et d’Occident en sont revenus à leur vieille politique consistant à monter les
tribus germaniques les unes contre les autres, plutôt que de les voir se
retourner contre l’Empire.
— Dans ce cas, pourquoi l’Est et l’Ouest
favoriseraient-ils un Théodoric plutôt que l’autre ?
— Aucun ne le fera sans doute avant longtemps. Mais
pour l’instant, Théodoric Strabo s’étant proclamé roi de tous les Ostrogoths et
Wisigoths présents ici et ailleurs, il y va provisoirement de l’intérêt de
l’Empire romain de le reconnaître comme tel. De cette façon, lorsqu’il aura
affaire à ce roi, l’Empire pourra prétendre s’adresser à l’ensemble des Goths,
ainsi qu’à leurs alliés, Germains ou non.
Le fait d’entendre une femme ainsi parler de politique en
ayant l’air de maîtriser son sujet était si inhabituel que je ne pus m’empêcher
de demander, tout en prenant soin de ne pas donner à ma question un tour trop
sceptique ou condescendant :
— Est-ce là votre vue personnelle de la situation,
Amalamena, ou cette opinion est-elle communément admise ?
Elle me couva d’un regard acéré mais amusé de ses feux de
Saint-Elme et dit :
— Jugez-en par vous-même. Aux dernières nouvelles,
Théodoric Strabo aurait envoyé son fils unique et héritier Recitach, un jeune
homme ayant à peu près votre âge, à Constantinople – tout comme mon père
l’avait fait pour mon frère, il y a des années – afin qu’il y vive en
otage et garantisse ainsi l’alliance de Strabo avec l’Empire d’Orient.
— Il n’y a donc aucun doute, évidemment…, murmurai-je.
Strabo est actuellement le Théodoric favorisé en sous-main. Votre frère sait-il
tout cela ?
— Si ce n’est pas le cas, il ne tardera pas à
l’apprendre. Et soyez sûr qu’il ne restera pas inerte. Dès qu’il pourra quitter
Singidunum, il courra se confronter à Strabo. (Elle soupira.) Et c’est bien sûr
exactement ce qu’espère l’Empire. Des Goths affrontant d’autres Goths.
— À moins, fis-je plein d’espoir, que notre ambassade à
Constantinople soit couronnée de succès, et que nous obtenions le pactum qu’exige votre frère.
Amalamena sourit avec mélancolie, comme si elle admirait
avec une certaine pitié mon apparent manque d’adresse et mon optimisme béat.
— Je vous ai dit comment se présentaient les choses,
Thorn. On ne peut pas dire qu’elles soient disposées en notre
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