Thorn le prédateur
accroché
comme il l’était, ressemblait à une minuscule croix en or, légèrement tronquée
en son sommet. Telle était la raison de son sourire enjoué et taquin ; car
la croix pouvait aussi bien être suspendue tête en bas, se transformant alors
en un marteau de Thor grossièrement équarri. Le second colifichet était un
filigrane en or représentant le monogramme de Théodoric. Maintenant qu’elle
avait accroché à sa chaîne la fiole du lait de la Vierge, la princesse pouvait
donc se prévaloir d’une quadruple protection contre le mal. Il faut tout de
même le dire, au fond de moi-même, je souhaitais secrètement que la fiole
écartât les pires événements qui pouvaient se produire. Le lekeis Frithila s’était gaussé de ces « amulettes » thérapeutiques, et
peut-être ne valais-je pas mieux, au fond, que ces « souillons
écervelées » qu’il avait aussi condamnées, mais je voulais croire dans le
pouvoir rédempteur de la fiole, espérer qu’elle serait capable de chasser
l’affreuse affliction dont souffrait Amalamena.
— Maintenant que me voici aussi bien armée,
ajouta-t-elle, toujours souriante, dites-moi, Thorn. Pourquoi ne portez-vous
pas une vraie barbe à la Goth, de manière à… ?
— De manière à cacher ma maigre gorge si exposée ?
J’ai déjà entendu cela quelque part. Eh bien pour cette bonne raison que je
suis l’envoyé de Théodoric dans des terres de langue grecque, et que les Grecs
ne portent plus la barbe, depuis qu’Alexandre l’a interdite. Or, saint Ambroise
a dit : « Si fueris Romae… » Ou plutôt, dans le cas
présent : « Epeí en Konstantinopólei … »
Amalamena cessa de sourire et, d’un air méditatif, donna de
petits coups de couteau dans la côtelette grillée qu’on venait de nous servir.
Au bout d’un moment, elle déclara :
— Je sais que vous espérez être chaleureusement reçu à
la cour de l’empereur Léon. Pourtant, je me demande si ce sera le cas.
— Ah ? Et qu’est-ce qui pourrait s’y
opposer ?
— Il y a des contingences… des influences occultes… que
vous ignorez peut-être encore. Quand vous êtes passé à la garnison, cet
après-midi, n’avez-vous rien noté d’anormal ? Rien de surprenant ?
— Elle est plus petite, moins peuplée de guerriers que
je l’aurais pensé. (Elle approuva mes paroles d’un geste de la tête.) La
majorité des forces de Théodoric sont déjà en marche pour aller le rejoindre à
Singidunum, ou ses hommes sont-ils stationnés ailleurs ?
— Certains sont partis renforcer ses troupes, ja ,
et d’autres tiennent certains postes un peu partout en Mésie. Mais peut-être
vous méprenez-vous sur le nombre total d’hommes auxquels commande réellement
mon frère.
— Écoutez, je sais qu’il n’a pris à son service que six
mille cavaliers pour reprendre Singidunum. Combien y en a-t-il encore ?
— Peut-être encore un millier de cavaliers, et dix
mille fantassins.
— Quoi ? Mais j’ai entendu dire que votre
peuple – notre peuple – se montait à près de deux cent mille
individus. Si un cinquième des Ostrogoths seulement sont des guerriers, cela
devrait représenter une force de quarante mille hommes.
— Certes, si tous reconnaissaient mon frère comme roi
des Ostrogoths. Avez-vous déjà entendu parler de l’existence d’un autre
Théodoric ?
Je me souvins d’avoir entendu le vieux Wyrd en parler, un
soir autour du feu de camp, il y avait de longues années de cela. Aussi
répondis-je :
— Il me semble me souvenir qu’il y a eu plusieurs
Théodoric chez les Goths.
— Seulement deux qui aient une réelle importance. Mon
frère, et un homonyme un peu plus vieux, cousin éloigné de notre père Théodemir
et qui a du reste pas loin de son âge. Ce Théodoric-là se pare du ronflant
surnom romain de Triarius et se prétend « le plus expérimenté des
guerriers ».
Je tentai de rassembler les vagues souvenirs de ce que Wyrd
m’avait conté à ce sujet.
— Est-ce celui qui porte aussi un surnom un peu
ridicule et péjoratif ?
— Strabo. Ja, c’est lui. Théodoric le Louche.
— Bien, et qu’en est-il de lui, niu ?
— Beaucoup de ceux de notre peuple le
considèrent comme leur roi. Il est, c’est vrai, un descendant des Amales comme
mon père et mon oncle. Aussi, avant même la mort de Théodemir et Walamer, la
nation ostrogoth était-elle déjà divisée, dans son dévouement, entre ces frères
et ce
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