Thorn le prédateur
vallée : une poudre pour le visage à base de
pollen de rose, et une pommade issue de pétales de cette même fleur. J’étais
présent lorsque la princesse fit gracieusement remarquer au propriétaire
qu’elle l’enviait d’être installé dans un endroit aussi délicieusement parfumé.
Et à sa véritable surprise, l’homme grogna :
— Douce odeur ? Sladak miris ? (Son
visage se renfrogna et il grommela violemment :) Okh, taj prljav
miris ! Nosoli li ne prestano blejo mnogo !
Ce qui dans son langage barbare, voulait dire : « Akh, cette fichue puanteur ! Elle nous irrite le nez à tous,
ici ! »
Et cette remarque plongea Amalamena dans une hilarité sans
retenue. La notion que des gens puissent être assez obtus pour mépriser leur
privilège de vivre ainsi environnés d’une merveilleuse beauté et d’une
fragrance aussi divine la fit rire aux larmes. Cela dut lui sembler d’autant
plus poignant qu’elle savait le peu de temps qui lui restait à admirer, inhaler
et apprécier les prodigieuses libéralités de cette nature. Mais comme l’avait
souligné Frithila, la princesse était toujours inclinée au rire, là où d’autres
auraient versé des larmes. Et c’est cette scène de la krchma qui
m’incline à penser que ce doit être le nez écrasé des Slovènes qui, en
induisant chez eux une déficience olfactive congénitale, les rend inaptes à
apprécier les parfums – et nombre d’autres bonnes choses de la vie,
probablement –, faisant d’eux un peuple maussade, à la morosité
apparemment incurable.
*
Nous continuâmes, traversant les montagnes de la Chaîne de
l’Ombre, assez peu escarpées, avant de nous diriger au sud-est le long de la
vallée de la rivière Hébrus [136] vers les provinces de Rhodope et
d’Europe, qui formèrent jadis la région appelée la Thrace. La plupart de ses
habitants sont aussi bruns que les Slovènes, mais leur teint est plus bistré
que rubicond, et tous parlent la mélodieuse langue grecque, ayant donc tant
pour se désigner que pour dénommer les choses, des noms à la fois intelligibles
et faciles à prononcer. Leur nez n’a en outre rien de particulier, et leur
tempérament est bien plus épanoui que celui des Slovènes.
Nulle part pendant le voyage, en dépit de toutes les blagues
que je pus trouver à raconter à Amalamena, elle ne s’amusa autant qu’à
l’occasion de cet épisode de Beroea. Elle semblait en tout cas toujours fort
heureuse lorsque je lui demandais de m’instruire de ce que j’ignorais. Alors,
dès que nous chevauchions de conserve, elle me parlait de façon tout à fait
passionnante et instructive de sa royale famille, des Goths en général et des
contrées que nous traversions. Ces terres lui étaient, bien sûr, tout à fait
étrangères, mais elle avait apparemment bien mieux que moi étudié leur
histoire. À titre d’exemple, au cours de notre trajet, elle m’apprit :
— Pas très loin d’ici, il y a bien deux cents ans,
l’empereur romain Dèce gagna une bataille contre les Goths. Mais trente mille
soldats romains y périrent, dont Dèce lui-même. Alors, victoire ou défaite, peu
importe, cela a toujours coûté très cher aux Romains d’affronter les Goths.
C’est pourquoi l’Empire nous a si longtemps craints et haïs, mais a été obligé
de composer avec nous, quitte à utiliser tout autre moyen que la guerre pour
nous diviser dans le but de nous exterminer.
— J’espère bien convaincre la cour d’Orient qu’à
présent également, ce pourrait être risqué…, murmurai-je.
Mais les souvenirs personnels et récents d’Amalamena me
passionnaient davantage que les épisodes oubliés d’une histoire lointaine. Elle
me conta les exploits martiaux et les nombreuses vertus royales de son défunt
père, et me raconta avec plus d’enthousiasme encore les nombreuses et
salutaires belles actions qui lui avaient valu parmi ses sujets le surnom de
Théodemir le Bien-aimé.
— Et mon oncle n’était guère différent, ajouta-t-elle.
Il était appelé avec tendresse du nom de Walamer le Loyal.
Elle me parla de sa mère la reine, Hereleuva, et sa voix
s’étrangla un peu quand elle relata comment elle avait péri « d’un
horrible mal appelé le kreps » alors qu’elle n’était encore que
jeune femme. De plus, sa mère avait causé du souci à sa famille lorsque sur son
lit de mort, elle avait renoncé à une longue vie d’arianisme pour se convertir
au
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