Tragédies Impériales
l’autre de ses maîtresses… à moins qu’il naille souper chez Sacher.
— … avec mon cher époux et le comte Hoyos acheva Louise en riant. Ils sont inséparables, ces trois là. Mais sincèrement, Steffie, tu ne devrais pas te tourmenter à ce point. Tu es sa femme et il tient toi. Je le sais : il me l’a dit. Qu’il ne soit pas très fidèle importe peu. Un jour il sera empereur et toi impératrice. Alors, il sera pris par ses devoirs… et Bratfisch n’aura plus qu’à se chercher une autre pratique. Rodolphe t’aime bien, tu le sais, et...
Le mot était maladroit. Stéphanie éclata en sanglots et enfouit sa tête dans les coussins du canapé :
— Il m’aime bien, je sais. Mais moi, je l’aime, tu entends… je l’aime !
La voix froide d’une dame d’honneur, que ni l’une ni l’autre n’avait entendue entrer, vint brusquement interrompre la plainte de l’archiduchesse :
— Sa Majesté attend Votre Altesse impériale pour la réception des délégués hongrois, dit-elle.
Stéphanie se redressa, essuya soigneusement ses yeux rougis, regarda sa sœur avec désespoir, mais se força héroïquement à sourire :
— C’est vrai, soupira-t-elle. Il y a ici au moins quelqu’un qui a besoin de moi : l’empereur.
En effet, depuis qu’elle était revenue à Vienne, Stéphanie avait une vie officielle très chargée. Princesse héritière, elle remplaçait continuellement l’impératrice, l’éternelle errante qui, égoïstement, se déchargeait sur elle d’un fardeau qu’elle détestait, sans lui en avoir d’ailleurs la moindre reconnaissance. Alors, Stéphanie, armée de son immuable sourire que d’aucuns jugeaient stupide, subissait sans faiblir les mortelles corvées de la cour, recevait, inaugurait, présidait, honorait de sa présence bals d’ambassades et manifestations folkloriques.
De tant d’efforts fournis en silence, seul François-Joseph lui était reconnaissant. Il admirait le courage de cette petite princesse de vingt ans, qui essayait si vaillamment d’assumer un rôle écrasant de vice-impératrice, ce rôle que ni Sissi ni Rodolphe n’acceptaient d’endurer et pour lequel ils ne montraient qu’un désinvolte mépris. Stéphanie était, elle, comme le vieil empereur lui-même, une bonne ouvrière du pouvoir et, souvent, François-Joseph se prenait à regretter qu’elle ne fût pas un garçon, et son fils !
Malheureusement, cette vie épuisante minait la santé de la jeune femme. Ses couches, difficiles, l’avaient laissée fragile, et les médecins craignaient qu’elle ne fût plus capable d’avoir d’enfants. Cette crainte finit par s’ancrer tellement dans l’esprit de l’empereur, et même dans celui de Rodolphe, que la prison impériale s’entrouvrit un peu. Stéphanie put de temps en temps prendre des vacances.
On la vit dans l’île de Jersey, à Lacroma, au château de Miramar près de Trieste mais, le plus souvent, à Abbazia, sur la côte dalmate. Cependant, elle était toujours seule, comme l’impératrice Élisabeth elle-même, ou bien accompagnée de sa sœur Louise. Et peu à peu, l’épouse délaissée prit goût à ces séjours. À Abbazia, elle avait le droit de respirer, loin des murs étouffants de la Hofburg. Elle avait le droit d’être une femme presque comme les autres, une jeune femme en vacances avec sa petite fille. C’était bon…
D’autant que la vie à Vienne, surtout l’existence auprès de Rodolphe devenaient peu à peu interminables… Des scènes effrayantes avaient lieu, trop souvent.
— Aurais-tu peur de mourir ? disait-il parfois. Ce serait si simple, Stéphanie ! Regarde : un tout petit geste, une toute petite pression du doigt sur ce morceau d’acier, et tout serait dit…
Sous le regard glacé de sa femme, Rodolphe, les yeux troubles, agitait un revolver d’ordonnance. Ce n’était pas la première fois qu’il jouait devant elle ce jeu mortel, mais si elle avait peur, elle s’efforçait de n’en rien montrer pour ne pas réveiller ce qu’il avait de cruauté au fond de ce cœur étrange :
— Tu ne devrais pas parler ainsi, dit-elle froidement. Les princes sont encore moins libres que les simples mortels de disposer de leur vie. Leur devoir avant tout.
— Le devoir ! Tu n’as que ce mot à la bouche, Steffie ! Tu ressembles à père. Vrai, vous allez admirablement bien ensemble : confits tous deux dans la respectabilité et le souci de l’étiquette !
— Cela
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