Tragédies Impériales
qu’il n’aurait fallu avec les révoltés hongrois… On parlait même d’un complot contre l’empereur lui-même et toujours, toujours, Rodolphe parlait de la mort…
— Mais enfin, conseilla Louise, si tu as peur, va avec lui à Mayerling.
— Je le lui ai proposé, mais il ne veut pas. Il dit que je suis trop sotte, avec ma peur des armes à feu.
— Allons ! Cesse de te tourmenter de la sorte. Tu fais une montagne avec une taupinière. D’ailleurs, qu’as-tu à craindre ? Philippe et Hoyos doivent eux aussi chasser à Mayerling. Tu penses bien qu’ils sauront veiller sur lui. Stéphanie se leva, essuya ses yeux et, devant une glace, rajusta sa voilette.
— Tu as peut-être raison. À présent, il faut que je rentre m’habiller pour le bal chez le prince de Reuss, où je dois remplacer l’impératrice.
— J’y serai aussi, dit Louise, mais essaie de te reposer un moment avant de t’habiller. Tu as une mine affreuse.
Cette soirée chez le prince de Reuss, l’ambassadeur d’Allemagne, allait être pour l’archiduchesse Stéphanie une cruelle, une ineffaçable épreuve.
Tout Vienne se pressait ce soir-là dans les vastes salons de l’ambassade, même les gens qui, comme les Vetsera, n’étaient pas assez nobles pour pénétrer jusqu’à la cour. Rodolphe, portant pour la circonstance un uniforme de colonel de uhlans allemand, et Stéphanie, en robe de cour, devaient y représenter la famille impériale.
Or, en faisant au bras de l’ambassadeur le tour des salons, l’archiduchesse remarqua instantanément une jeune fille brune, littéralement couverte de bijoux – ce qui n’était pas d’un goût extrême, mais trahissait assez l’origine orientale – et qui la dévisageait avec insolence. Ces yeux bleus, elle les connaissait bien, et quelque chose se serra dans la poitrine de l’épouse de Rodolphe.
Calme en apparence, elle poursuivit cependant son chemin, distribuant saluts, sourires et mots aimables. Devant elle, les femmes pliaient le genou, les hommes s’inclinaient, mais quand elle arriva à la hauteur de Marie Vetsera, la jeune fille, folle d’orgueil, refusa de s’incliner. Les doigts de l’archiduchesse se crispèrent sur la manche de l’ambassadeur. Devait-elle subir à présent un affront public de la part de cette fille ?
Un instant, les deux regards bleus se croisèrent, meurtriers. Un murmure scandalisé se levait déjà. Affolée, la baronne Vetsera, qui se tenait auprès de sa fille, obligea celle-ci à s’incliner, prévoyant trop bien quelle serait la colère de l’empereur et sentant vibrer autour d’elle le vent de l’exil.
Finalement, Marie plia le genou, mais l’archiduchesse était déjà passée…
Avec prudence, Rodolphe s’était tenu à l’écart de la scène, et durant toute la soirée, les deux époux ne s’adressèrent pas la parole. Quand ils quittèrent l’ambassade, Stéphanie regagna directement la Hofburg, tandis que Rodolphe s’en allait passer la nuit chez Mitzi Kaspar, à laquelle d’ailleurs – elle devait le révéler plus tard – il proposa de mourir avec lui.
Jamais plus Stéphanie ne devait revoir Rodolphe vivant…
De la scène, très longue et sans doute terrible, qui opposa le lendemain matin l’archiduc à l’empereur, on n’a rien su mais le drame de Mayerling est trop connu pour le rappeler ici. On sait comment l’archiduc Rodolphe trouva la mort en compagnie de Marie Vetsera, mais l’on estime à présent, que ce drame fut sans doute plus politique que sentimental. Marie Vetsera gagna pour la postérité le ciel des grandes amoureuses, parce qu’elle fut la seule femme qui consentit à accompagner Rodolphe dans cet inconnu de la mort qu’il redoutait d’affronter seul.
Pour Stéphanie, pétrifiée de douleur, l’épilogue de Mayerling fut la lettre qu’on lui remit et que son époux avait écrite pour elle avant de se donner la mort.
« Chère Stéphanie, tu es délivrée de ma funeste présence ; sois heureuse dans ta destinée. Sois bonne pour la pauvre petite qui est la seule chose qui subsiste de moi. Transmets mon dernier salut à toutes les connaissances, spécialement à Bombelles, Spindler Latour, Nowo, Gisela, Leopold, etc. J’entre avec calme dans la mort qui, seule, peut sauver ma bonne réputation . T’embrassant de tout cœur, ton Rodolphe qui t’aime… »
C’était fini. Stéphanie avait perdu à la fois son amour de jeunesse et toute chance d’être un jour
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