Tragédies Impériales
vaut mieux, quand on règne, qu’être confit dans l’alcool et la débauche ! riposta la jeune femme, méprisante.
Ce jour-là, Rodolphe entra dans une terrible colère, que sa femme s’efforça de laisser passer sans y participer. Depuis quelque temps, d’ailleurs, ces colères augmentaient d’intensité, devenaient effrayantes. L’archiduc buvait trop, passait des nuits entières sans dormir, élaborant avec ses amis journalistes et son cousin Jean-Salvator, l’archiduc révolutionnaire, des plans dangereux pour la sûreté de l’État, mais qui, inspirés par la générosité et un libéralisme peut-être outrancier, avaient du moins le mérite de faire honneur à leur sens de la solidarité humaine. De plus en plus inquiet et angoissé, en désaccord complet avec son père, abruti de travail et de plaisirs, malade de surcroît, Rodolphe usait sa vie par tous les bouts et accentuait chaque jour en lui ce goût de la mort auquel la paisible Stéphanie ne comprenait rien. Qui aurait pu le reprocher à une femme de vingt ans ?
Parfois, une éclaircie se produisait dans les relations du ménage. Ainsi ce jour de 1886 où, en couple inaugura, en famille, le nouveau pavillon de chasse de Mayerling aux environs de Vienne. Ce jour-là, Rodolphe fut gai, détendu, charmant, comme il savait si bien l’être… Malheureusement, ce ne fut qu’une bien courte éclaircie. Le ménage plongeait de plus en plus dans un enfer auquel Stéphanie s’efforçait d’échapper le plus souvent qu’elle le pouvait pour gagner Abbazia.
En effet, les scènes succédaient aux scènes, toujours violentes et au cours desquelles Rodolphe terrifiait la princesse en menaçant de la tuer puis de se tuer ensuite.
Ce fut pire encore quand, vers la fin de 1887, une cousine germaine de Rodolphe, l’intrigante comtesse Larisch-Wallersee, présenta au prince une jeune fille de seize ans appartenant à la petite noblesse et apparentée à la riche bourgeoisie levantine. Elle se nommait Marie Vetsera, elle était brune avec de grands yeux bleus, et Rodolphe aimait les brunes. Elle était ravissante, très jeune et positivement folle du prince. Un an ne s’était pas écoulé qu’elle était devenue l’habituée du petit appartement de la Hofburg où Stéphanie n’entrait jamais.
Pour elle, Rodolphe eut un caprice violent mais qui ne lui fit pas délaisser ses autres maîtresses : telle l’actrice Mitzi Kaspar, avec laquelle il passait bien souvent, ses nuits.
Pour Stéphanie, l’existence devint odieuse. La jeune Marie, éclatante d’orgueil, affichait sans vergogne son triomphe, défiant insolemment l’archiduchesse lorsqu’elle la rencontrait à l’opéra. Sa mère poussait à la roue, car c’était une femme d’un snobisme outrancier et qui n’était pas loin de voir sa fille impératrice, en dépit d’une trop petite noblesse qui ne lui permettait même pas d’assister aux bals de la cour. Mais ne disait-on pas que Rodolphe, désespérant d’avoir jamais un héritier mâle, avait demandé au pape de constater la nullité de son mariage ?
L’année 1888 se termina mélancoliquement. Après la Saint-Nicolas Stéphanie alla passer quelques jours à Abbazia pour tenter de retrouver un calme qui la fuyait de plus en plus. Elle dut néanmoins rentrer à Vienne dans les premiers jours de janvier, car l’impératrice, une fois encore, était absente. Il lui fallait la remplacer, mais en revoyant Rodolphe, elle fut effrayée : plus nerveux que jamais, plus irritable aussi, son regard était celui d’un être traqué. Il semblait mû par une force intérieure dont il n’était pas le maître et passait ses nuits en dehors du palais.
Le 26 janvier, il annonçait à sa femme que, le surlendemain, il avait l’intention d’aller chasser à Mayerling. Sans trop savoir pourquoi, Stéphanie tenta de l’en dissuader. Elle le trouvait pâle, fiévreux, et visiblement en mauvais état.
— Justement ! riposta Rodolphe. J’ai le plus grand besoin d’air pur…
Mais cette affirmation ne calma pas les craintes, d’ailleurs imprécises, de sa femme.
— Je voudrais tellement qu’il renonce à cette chasse ! confia-t-elle à sa sœur. Je ne peux te dire pourquoi, mais j’ai peur…
En réalité, l’archiduchesse était au comble de la nervosité et de l’agitation. Il circulait à la cour des bruits effrayants : on disait que Rodolphe aurait profondément mécontenté l’empereur, qu’il se serait engagé plus
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