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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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et dont elle pensait
maintenant qu’elle ignorait le nom (car elle pouvait envisager maintenant que toute chose eût un nom et qu’elle
l’ignorât, elle réalisait, gênée, avoir cru que ce qu’elle
connaissait avait seul un nom), il passait d’un groupe à
l’autre, œuvrant à ses affaires avec une fougue innocente,
enfantine, qui inspirait confiance.
    Il était habité d’une intuition particulière.
    Elle commençait à trouver le temps long mais n’eût
pas pensé un instant à s’en plaindre, quand il lui annonça
qu’ils partaient le lendemain, et c’était comme si, songea-t-elle, il avait deviné l’ennui qu’elle s’était mis à éprouver
sans trop s’en rendre compte et avait décidé qu’il s’agissait
d’une mauvaise chose — mais pourquoi cela ?
    Quelle importance cela pouvait-il avoir pour lui ?
    Oh, certes, elle avait de l’amitié pour le garçon.
    Ce soir-là, dans l’obscurité de la cour où ils étaient
allongés, elle sentit qu’il se rapprochait d’elle, hésitant,
incertain de sa réaction.
    Elle ne le repoussa pas, elle l’encouragea en se tournant
vers lui.
    Elle souleva son pagne, fit glisser sa culotte en enroulantsoigneusement les billets dans le tissu, la serra sous
sa tête.
    Voilà des années qu’elle n’avait pas fait l’amour, pas
une fois depuis que son mari était mort.
    Et tandis qu’elle caressait prudemment le dos bourrelé
du garçon et s’étonnait dans le même temps de la légèreté extrême de son corps et de la douceur, de la délicatesse presque excessives (car elle sentait à peine qu’il
était là) avec lesquelles il bougeait en elle, lui revenaient
comme par réflexe, rappelées aussitôt par cette sensation
d’un corps sur le sien et bien que celui-là fût si différent
du corps dense et lourd de son mari, les prières d’enfantement qu’elle n’avait cessé de murmurer à l’époque et
qui l’avaient tenue à l’écart de tout plaisir possible, qui
l’avaient détournée de la concentration nécessaire à toute
recherche de jouissance.
    Elle les chassa farouchement.
    Une sorte de bien-être, de confort physique l’envahit
alors — rien de beaucoup plus vif que cela, rien qui ressemblât à ce dont parlaient entre elles, avec des soupirs et
de petits rires, ses belles-sœurs, mais Khady en fut heureuse et reconnaissante au garçon.
    Quand il se dégagea il heurta durement, par inadvertance, son mollet.
    Une explosion de douleur ravagea la conscience de
     Khady.
    Elle haletait, à demi évanouie.
    Elle entendait les murmures inquiets de Lamine à son
oreille, elle songeait, souffrant au point qu’elle en était
presque détachée et comme surprise, étrangère à elle-même qui souffrait si violemment, elle songeait : Qui s’est
jamaissoucié de moi comme il le fait, ce garçon si jeune,
j’ai de la chance, vraiment, de la chance…
    Ils montèrent avant l’aube dans un camion au plateau
découvert où s’entassait déjà tellement de monde qu’il
parut impossible à Khady de trouver le moindre espace où
se loger.
    Elle se percha sur un tas de ballots, à l’arrière du
camion, à grande hauteur au-dessus des roues.
    Lamine lui recommanda de s’agripper fermement aux
ficelles des paquetages afin de ne pas tomber.
    Il était assis tout contre elle, à cheval sur une caisse, et
Khady pouvait sentir l’odeur acide, légère de sa sueur qui
s’unissait à la sienne par l’intermédiaire de leurs bras collés l’un à l’autre.
    — Si tu tombes, le chauffeur ne s’arrête pas et tu meurs
dans le désert, lui souffla le garçon.
    Il lui avait confié une gourde de cuir remplie d’eau
tiède.
    Khady l’avait vu donner tout un paquet de billets au
chauffeur en expliquant qu’il payait pour elle également,
puis il l’avait aidée à grimper dans le camion, incapable
qu’elle était, avec sa jambe qui lui semblait être devenue si
lourde, de se hisser toute seule.
    L’exaltation réprimée, dissimulée sous des gestes pointilleusement précis (comme celui de vérifier de multiples
fois si le bouchon de la gourde était bien serré) et des
recommandations répétées, rabâchées d’une voix basse et
lente (Accroche-toi, si tu tombes, le chauffeur ne s’arrête
pas et tu meurs dans le désert), qu’elle devinait pourtant
à d’infimes tressaillements sur le visage de Lamine, cette
ardeurlégèrement enivrée l’avait gagnée, de telle sorte
qu’elle

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