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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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flamboyant exténué
de fleurir qu’il pût s’être envolé.
    Norah, qui arrivait de l’aéroport, avait pris un taxi puis
marché longuement dans la chaleur car elle avait oublié
l’adresse précise de son père et n’avait pu se retrouver
qu’en reconnaissant la maison, se sentait collante et sale,
diminuée.
    Elleportait une robe vert tilleul, sans manches, semée
de petites fleurs jaunes assez semblables à celles qui jonchaient le seuil tombées du flamboyant, et des sandales
plates du même vert doux.
    Et elle remarqua, ébranlée, que les pieds de son père
étaient chaussés de tongs en plastique, lui qui avait toujours mis un point d’honneur, lui semblait-il, à ne jamais se
montrer qu’avec des souliers cirés, beiges ou blanc cassé.
    Était-ce parce que cet homme débraillé avait perdu
toute légitimité pour porter sur elle un regard critique ou
déçu ou sévère, ou parce que, forte de ses trente-huit ans,
elle ne s’inquiétait plus avant toute chose du jugement
provoqué par son apparence, elle se dit en tout cas qu’elle
se serait sentie embarrassée, mortifiée de se présenter,
quinze ans auparavant, suante et fatiguée devant son père
dont le physique et l’allure n’étaient alors jamais affectés par le moindre signe de faiblesse ou de sensibilité à la
canicule, tandis que cela lui était indifférent aujourd’hui
et que, même, elle offrait à l’attention de son père, sans
le détourner, un visage nu, luisant qu’elle n’avait pas
pris la peine de poudrer dans le taxi, se disant, surprise :
Comment ai-je pu accorder de l’importance à tout cela,
se disant encore avec une gaieté un peu acide, un peu rancuneuse : Qu’il pense donc de moi ce qu’il veut, car elle
se souvenait de remarques cruelles, offensantes, proférées
avec désinvolture par cet homme supérieur lorsque adolescentes elle et sa sœur venaient le voir et qui toutes concernaient leur manque d’élégance ou l’absence de rouge sur
leurs lèvres.
    Elle aurait aimé lui dire maintenant : Tu te rends compte,
tu nous parlais comme à des femmes et comme si nous
avionsun devoir de séduction, alors que nous étions des
gamines et que nous étions tes filles.
    Elle aurait aimé le lui dire avec une légèreté à peine
grondeuse, comme si cela n’avait été qu’une forme de
l’humour un peu rude de son père, et qu’ils en sourient
ensemble, lui avec un rien de contrition.
    Mais le voyant là debout dans ses tongs en plastique, sur
le seuil de béton parsemé des fleurs pourrissantes qu’il faisait tomber peut-être lorsque, d’une aile lourde et lasse, il
quittait le flamboyant, elle réalisa qu’il ne se souciait pas
davantage de l’examiner et de formuler un jugement sur son
allure qu’il n’eût entendu, compris la plus insistante allusion aux méchantes appréciations qu’il lançait autrefois.
    Il avait l’œil creusé, le regard lointain, un peu fixe.
    Elle se demanda alors s’il se souvenait vraiment de lui
avoir écrit pour lui demander de venir.
    — Si on entrait ? dit-elle en changeant d’épaule son sac
de voyage.
    — Masseck !
    Il frappa dans ses mains.
    La lueur glaciale, presque bleutée que dispensait son
corps informe parut croître en intensité.
    Un vieillard en bermuda et polo déchiré, pieds nus, sortit de la maison d’un pas vif.
    — Prends le sac, ordonna le père de Norah.
    Puis, s’adressant à elle :
    — C’est Masseck, tu le reconnais ?
    — Je peux porter mon sac, dit-elle, regrettant aussitôt
ces mots qui ne pouvaient que froisser le serviteur habitué,
malgré son âge, à soulever et transporter les charges les
plus incommodes, le lui tendant alors avec une telle impétuositéque, non préparé, il chancela, avant de se rétablir
et de jeter le sac sur son dos puis, courbé, de rentrer dans
la maison. La dernière fois que je suis venue, c’était Mansour, dit-elle. Masseck, je ne le connais pas.
    — Quel Mansour ? fit son père avec cet air soudain
égaré, presque consterné qu’elle ne lui avait jamais vu
autrefois.
    — Je ne connais pas son nom de famille mais, ce Mansour, il a vécu ici des années et des années, dit Norah qui
sentait peu à peu l’emprise d’une gêne poisseuse, étouffante.
    — C’était peut-être le père de Masseck, alors.
    — Oh non, murmura-t-elle, Masseck est bien trop âgé
pour être le fils de Mansour.
    Et comme son père avait l’air de plus en plus

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