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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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récemment, sous le
chapiteau du campus, songeant qu’elle avait dirigé le précédent parti de la
Droite, elle lança aux militants que ce qui manquait au Parti impérial c’était
un chef visible ; les pantins que Sa Majesté avait mis à sa place n’avaient
point d’étoffe. Elle en profita pour relancer un club à sa dévotion, et, sur
son stand, accueillit par dizaines les députés majoritaires qui doutaient de Sa
Majesté…
    Malgré son influence, malgré son savoir-faire et sa facilité
à avaler les humiliations répétées du Prince, elle dut fléchir et nettoyer son
décret de ce qui fâchait. « Comme cela, disait-elle, le texte est
transparent. » Il était si transparent qu’on voyait au travers, mais il
fallait apaiser les remous soulevés par Edvige. Sa Majesté se demandait de son
côté par quoi recouvrir l’incident afin qu’on l’oubliât.
    Ce fut la Crise qui s’en chargea.
    Un 15 septembre, le chevalier de Guaino entra en
jubilant dans le bureau impérial. Ce Premier secrétaire du Prince, qu’on disait
en disgrâce parce qu’il avait été privé de parole et de voyages pour en avoir
abusé, avait le poil gris sensiblement blanchi vers les tempes, un front
plissé, le même costume bleu à fines rayures que Son Maître.
    — J’avais raison, Sire ! dit-il en se raclant la
gorge. L’aristocratie financière meurt de ses turpitudes !
    — Tu t’calmes et tu expliques…
    — Lehman Brothers vient de tomber !
    — Y s’est fait mal ?
    — C’est l’une des plus puissantes banques en Amérique,
Sire. Zéro ! Ruinée ! Plus de joujou ! Des milliards envolés !
Pire que Merrill Lynch l’année dernière, vous vous en souvenez, plus de deux
milliards de pertes !
    — J’me souviens ? Non.
    — C’est la Crise ! Elle va gagner le monde puisque
le monde est mangé par l’aristocratie financière, et quand ça se détricote là-bas,
ça vient chez nous ! L’horreur est mondiale pour la première fois !
Ce capitalisme joueur est pervers, il doit être puni.
    Le chevalier portait sous son bras l’essentiel de son savoir
économique, deux albums des aventures de M. Tintin. Il ouvrit L’Étoile
mystérieuse à la page 22 :
    — Voyez, Sire, un banquier véreux se confie à son
secrétaire et il lui dit, en tirant sur un cigare de prix : « Sous le
couvert d’une expédition scientifique, mon but est de prendre possession de cet
aérolithe et de ce métal inconnu… Il y a là-bas une fortune colossale qui nous
attend et ne nous échappera pas ! » Alors ce chacal emploie tous les
moyens pour contrarier le cargo des vrais savants : la dynamite, le
naufrage, le carburant refusé à l’escale d’Islande, parce que, bien sûr, le
banquier a le monopole de la Golden Oil…
    — Tu veux en v’nir où ça ? demanda Notre Lumineux
Leader qui passait en économie pour un amateur.
    — Mettons les financiers au pilori ! Le mal est
dans leur nature. Voyez encore Vol 714 pour Sydney aux pages 24 et 25.
Lorsque le docteur Krollspell fait une piqûre de sérum de vérité au
milliardaire Carreidas, pour qu’il livre le numéro de son compte en Suisse, il
avoue son horrible passé, comment il a volé une bague de sa mère mais en laisse
accuser la servante. Il dit lui-même que le fond de sa nature est mauvais, qu’à
quatre ans il était déjà un véritable génie du mal…
    — Qu’est-ce qu’on fait ?
    — On moralise le capitalisme, Sire. Barre à
bâbord !
    — Mais faut que j’maintiens mon cap, hein ?
    — Comme nous n’avons plus que des mauvaises idées,
Sire, continuons à emprunter ses bonnes recettes à la Gauche, et que la
politique réglemente l’économie !
    Le système avait commencé à se fissurer en Amérique trois
ans plus tôt, quand les géants de l’industrie des voitures firent faillite,
jetant à la rue trois millions d’ouvriers et sinistrant la région de Detroit.
Les banques avides avaient prêté à des pauvres ou à des mal payés ; ils ne
purent rembourser leurs traites une fois au chômage ; on saisit leurs
maisons qu’ils avaient dû hypothéquer. La crise économique entraîna ainsi une
crise sociale qui aboutit à la déroute des banques.
    Notre Monarque Visionnaire était dans l’embarras pour avoir
longtemps prôné l’endettement des ménages et blâmé la frilosité des banquiers
qui n’accordaient point de crédits aux gueux. Au printemps de l’an passé, il
avait regretté avec amertume que

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