Tsippora
promets.
— Il… Oh, Sefoba, dis quelque
chose !
— Et quoi donc ? soupira Sefoba.
Tsippora a raison : il a dit non !
— Ses yeux me juraient le contraire.
Je sais mieux que vous ce que les yeux d’un homme disent.
— Orma, écoute-moi !
— Ce n’est pas la peine. Je t’ai
entendue. Et je te réponds : je parlerai à notre père, parce que personne
ne peut m’en empêcher, pas même toi.
Tsippora attrapa les poignets d’Orma. Elle
les serra durement, l’obligeant à lui faire face.
— Cet homme m’a sauvée de la
souillure. Peut-être même m’a-t-il sauvé la vie, c’est vrai. Je sais ce que je
lui dois aussi bien que toi. Mais je sais aussi qu’il ne veut pas de regard sur
lui, pas de chatteries, pas de roucoulades. Il parle mal notre langue, il a
peur des mots qu’il prononce. Il veut de l’ombre. N’as-tu pas remarqué la
manière dont il a disparu tout à l’heure ? Il n’y a qu’une façon de le
remercier de son aide, c’est de le laisser dans l’ombre autant qu’il le
souhaite. Es-tu capable de comprendre cela ?
Comme chaque fois que la colère emportait
Tsippora, ses paroles prenaient un poids qui rappelait Jethro. Orma, la bouche
pincée, baissa le front.
— Laisse-lui le temps de changer
d’avis, veux-tu ? poursuivit Tsippora avec calme, comme devant une enfant
butée. Orma, s’il te plaît, laisse-lui le temps ! Il n’oubliera pas ta
beauté. Quel homme le pourrait ?
La flatterie retroussa les lèvres d’Orma.
— Qu’en sais-tu ? Tu crois
toujours tout savoir, mais qu’en sais-tu ?
Sefoba s’approcha et glissa les bras autour
de la taille de sa sœur.
— Allons, pas de dispute ! Ton
prince ne va pas s’envoler. Nous verrons demain.
Orma repoussa ses caresses.
— Avec toi, Tsippora a toujours
raison.
Sefoba insista, gentiment moqueuse :
— Et puis, que ferais-tu de l’étranger
ce soir ? Tu vas être très occupée. Souviens-toi que Réba sera là.
— Oh ! Celui-là…
— « Oh !
celui-là » ! Celui-là, justement, il vient de traverser le désert
pour que tu l’abreuves de ta beauté.
— Il m’ennuie à l’avance.
— Nous verrons cela.
Les bracelets d’or
Le domaine de Jethro avait l’apparence d’un
petit fortin. Une vingtaine de maisons en briques de glaise et aux toits plats
formaient le mur aveugle d’une enceinte longue d’un millier de coudées. Une
seule porte s’y ouvrait, un lourd portail d’acacia orné de bronze qui demeurait
béant depuis le lever du jour et permettait de voir arriver les voyageurs de
loin.
À l’intérieur, les fenêtres et les portes,
badigeonnées de bleu, de jaune et de rouge, donnaient sur une cour de terre battue.
Les serviteurs s’y affairaient entre les chameaux, les mules et les ânes qui
avaient transporté jusque-là les visiteurs du grand prêtre, selon leurs
richesses et leurs rangs. Puissants ou faibles, depuis le plus lointain des
cinq royaumes que comptait Madiân, ils venaient demander conseil et justice au
sage Jethro. Il les recevait dans le fond de la cour, tout devant sa chambre,
sur une estrade dressée sous un vaste dais en poutres de sycomore ombré par le
feuillage d’une précieuse vigne.
En l’honneur du jeune Réba l’estrade fut
recouverte de magnifiques tapis de pourpre, rares et rapportés à grand prix de
Canaan. Des coussins brodés d’or furent disposés autour d’énormes plateaux en
bois d’olivier recouvert de cuivre. On y avait déposé des moutons grillés
fourrés d’aubergines, de courges et de petits poireaux et décorés de fleurs de
térébinthe. Les jarres étaient remplies de vin et de bière, et les coupes de
bronze serties d’azurites regorgeaient de fruits.
Des musiciens et des danseurs, affublés de
tuniques multicolores, s’impatientaient sur une estrade voisine dressée pour la
circonstance. Les coups des cymbales et le tintement des clochettes qui
retentissaient par intervalles décuplaient l’agitation régnant dans la maison.
La soirée se déroulait comme Sefoba l’avait
prédit. Néanmoins, Tsippora demeurait sur le qui-vive. Orma pouvait bien se
révéler incapable de tenir sa langue. Par bonheur, la présence et le faste dont
savait s’entourer le fils du roi de Sheba captivèrent son attention.
Réba arriva sur une chamelle blanche, suivi
d’une troupe de serviteurs qui déployèrent pour lui, sur le sol de la cour, un
magnifique tapis de Damas acheté à des caravaniers d’Akkad. Il
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