Tsippora
contre l’autre
pour les désengourdir. Il contourna le puits pour aller chercher sa propre
outre et la plonger dans l’eau.
Orma ajouta :
— Ce soir, il y a une fête dans
l’enclos de notre père. Il reçoit le fils du roi de Sheba qui vient lui
demander conseil. Il serait certainement content de pouvoir te remercier de
nous avoir sauvées des mains des bergers. Viens partager notre repas.
Sefoba approuva bruyamment :
— Oh oui ! Quelle bonne
idée ! Bien sûr qu’il faut te remercier. Notre père sera heureux de te
rencontrer, c’est certain.
— Notre bière et notre vin sont les
meilleurs de Madiân. Je peux te l’assurer.
Le rire d’Orma était comme une volée
d’oiseaux. L’Égyptien releva le visage, la contempla en silence. Sefoba
insista :
— Tu n’as rien à craindre. Nul n’est
plus doux que notre père Jethro.
— Je dis merci, mais je dis non,
fit-il.
— Mais si ! s’écria Orma. Je suis
certaine que tu n’as nul endroit où dormir, peut-être pas même de tente ?
Moïse rit. Ses cheveux brillaient sur sa
nuque. On avait envie de passer ses doigts sur sa joue pour en effacer l’ombre
rugueuse de la barbe naissante. Son bâton désigna une nouvelle fois la mer.
— Pas besoin de tente. Là-bas, pas de
tente. Pas la peine.
Il fit glisser la lanière de sa gourde sur
son épaule et leur tourna le dos, s’éloignant déjà, lançant la pointe de son
arme devant lui.
— Hé ! s’écria Orma, un instant
surprise. Étranger ! Moïse ! Tu ne peux pas t’en aller comme
ça !
Il se retourna et les regarda toutes les
trois comme s’il n’était pas certain de bien comprendre. Comme s’il pouvait y
avoir une menace dans la protestation d’Orma. Enfin, un nouveau sourire, léger
et heureux, dévoila la blancheur régulière de ses dents.
— C’est moi qui dis merci. Pour l’eau.
Vous êtes belles. Belles toutes trois. Trois filles du sage homme !
Tsippora, à l’entendre dire « toutes
trois », se ressaisit et leva le bras en guise d’adieu.
*
* *
— Eh bien toi ! s’exclama Orma à
l’adresse de Tsippora. C’est comme ça que tu le remercies ! Il te sauve et
tu ne dis pas un mot ?
La déception lui tirait les traits en une
moue boudeuse. Elle observa encore le bas du sentier. Dans la poussière ocre,
Moïse s’y confondait à l’ombre. Il marchait vite.
— Tu aurais pu le rappeler ! Dire
quelque chose, grondait encore Orma. D’habitude, ce ne sont pas les mots qui te
manquent !
Tsippora ne répondait toujours pas. Sefoba
lâcha un soupir et lui attrapa le bras.
— Qu’il est beau ! C’est un
prince.
— Un prince d’Égypte, approuva Orma.
Avez-vous remarqué ses mains ?
Et, se tournant vers Tsippora :
— Alors ? le fils de Houssenek
t’a coupé la langue ?
— Non.
— Enfin ! Pourquoi ne lui as-tu
rien dit ?
— Tu parlais assez abondamment pour
moi, fit Tsippora.
Sa voix était tout enrouée. Sefoba rit et
Orma consentit à sourire. Elle eut même un petit geste pour arranger la fibule
de Tsippora qui retenait mal sa tunique déchirée.
— Et ses vêtements ! As-tu vu sa
ceinture ?
— Oui.
— Son pagne est usé et sale car il n’a
personne pour prendre soin de lui. Mais sa ceinture, je n’en ai jamais vu de
pareille.
— C’est vrai, reconnut Sefoba. Aucune
femme de Madiân ne sait tisser un lin si fin, ni si bien le colorer.
Elles avaient beau chercher Moïse entre les
feuillages gris des oliviers, il n’était plus visible. Sefoba fronça les
sourcils.
— Peut-être n’est-il pas prince…
— Il l’est, j’en suis certaine, la
coupa Orma.
— Peut-être. Mais prince ou pas, que
fait-il ici ?
— Eh bien… commença Orma.
— Il est en fuite, il se cache, dit
Tsippora d’une voix neutre.
Ses sœurs lui jetèrent un regard intrigué.
Mais comme Tsippora se taisait, elles firent la moue.
— Tu sais quelque chose et tu ne veux
pas nous le dire ? Il est peut-être en voyage, objecta Orma, brusquement
méfiante.
— Un Égyptien, un prince, s’il l’est,
ne voyage pas seul au pays de Madiân. Sans serviteur, sans personne pour porter
ses coffres, ses jarres d’eau, sans femme ni tente.
— Peut-être est-il avec une
caravane ?
— Oui ? Alors où est-elle ?
Aucun chef de caravane n’est venu saluer notre père. Non, lui, c’est un homme
qui se cache.
— Se cache de quoi ? demanda Sefoba.
— Je ne sais pas.
— Un homme comme lui n’a
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