Tsippora
chemin de la mer.
Lorsque Moïse, au puits d’Irmna, avait
montré la rive et affirmé qu’il pouvait se dispenser d’une tente, Tsippora
avait deviné l’endroit de son refuge. Le vent, le temps, et peut-être les
hommes, avaient creusé quantité de cavernes dans les falaises surplombant la
plage. Parfois les pêcheurs y prenaient du repos avant de pousser leur bateau
sur les flots. Tsippora elle-même, alors qu’elle n’était qu’une enfant, s’y
était cachée après une réprimande de Jethro. Elle ne doutait pas d’y trouver
l’étranger.
Cependant, parvenue à l’escarpement qui
bordait la mer, elle prit conscience que cela serait moins aisé que prévu. La
falaise s’étendait plus loin que le regard pouvait porter. Par endroits, les
grottes se comptaient par dizaines. De plus, depuis les hauteurs où elle se
trouvait, on ne les situait pas bien et elle ne pouvait s’aventurer avec la
mule sur les sentiers étroits qui dévalaient à flanc de roche.
Attachant l’animal à des buissons, elle se
lança au pas de course sur le premier chemin venu. Elle recommença un peu plus
loin. Ce qui lui avait paru si facile se révélait presque impossible.
Le soleil montait rapidement. Les ombres
rétrécissaient. Tsippora se prit à douter. Elle songea à son père et à Orma.
Elle avait imaginé qu’elle serait de retour avant le milieu de la matinée.
Après la nuit de fête, chacun se lèverait tard, elle pourrait reparaître sans
qu’on s’aperçût de son absence. Le temps à présent passait vite. Devait-elle
s’en retourner ?
Elle l’aurait dû. Elle le savait. Mais être
venue jusqu’ici pour rien !
Elle se souvint soudain d’un chemin, plus
large et plus lent, que les pêcheurs utilisaient pour descendre le bois
nécessaire à la fabrication des barques. La mule saurait y passer et, ainsi
parvenue sur la plage, elle apercevrait l’entrée de chacune des grottes. Moïse
aussi pourrait la voir…
C’est ainsi qu’elle l’appelait maintenant,
pour elle-même : Moïse !
Depuis qu’elle avait quitté l’enclos, elle
ne songeait plus à lui comme à l’étranger. Il était Moïse.
Et elle, elle accomplissait une folie. Une
chose qu’elle n’avait jamais faite, où elle ne se reconnaissait pas, mais qui
la poussait en avant comme si elle ne décidait plus de ses actes.
Elle pressa le pas, claqua nerveusement la
corde sur la croupe de la mule. Puis elle s’immobilisa d’un coup.
En bas, à une dizaine de coudées du rivage,
avancé jusqu’à la taille dans l’eau, un homme se tenait debout.
Ce n’était qu’une silhouette. Elle était
bien trop loin pour distinguer son visage. Mais elle perçut le reflet clair de
ses cheveux.
Il lança un petit filet après une longue
attente. Au balancement des épaules et des bras, elle en fut certaine :
c’était Moïse.
Il péchait. Il ramena le filet, le replia
avec soin avant de le suspendre à son bras et d’attendre, à nouveau immobile.
Puis de le lancer d’un geste ample et vif.
Tsippora devina l’éclair argenté d’un
poisson dans les mailles sombres. Moïse sortit de l’eau et jeta sa prise sur
les galets, loin de la houle. La plage, ici, se muait en une bande étroite de
galets roses et ocre que jouxtait, pareil à un immense joyau, le bleu intense
de la mer.
La chaleur montait, de plus en plus dure.
Tsippora ouvrit la bouche pour mieux respirer. Une image de son rêve lui
traversa l’esprit : le moment où la pirogue s’était éloignée de la rive,
les embruns lui rafraîchissant le front et les joues.
Un instant, il lui sembla que tout le
bonheur de la vie serait d’être là-bas, au côté de Moïse, tandis qu’il
retournait dans l’eau, cherchant avec patience un autre emplacement pour
pêcher.
De toute évidence, Moïse savait trouver sa
pitance lui-même. La quantité de nourriture qu’elle apportait ne serait pas
aussi indispensable qu’elle l’avait cru.
N’allait-il pas se moquer d’elle ?
Au cours de la nuit précédente, Tsippora
avait choisi les mots et les phrases qu’elle voulait lui dire. Maintenant, elle
n’avait plus aucun désir de paroles.
Elle devait transporter la nourriture dans
la grotte qu’il s’était choisie et repartir avant qu’il y remonte sa pêche. Il
devinerait. Ou songerait à Orma, plus probablement. Tant pis.
*
* *
La jarre de bière en travers des épaules,
elle découvrit la grotte à mi-hauteur de la falaise. Le sentier s’y élargissait
et se
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