Tu montreras ma tête au peuple
J’ai voulu ramasser une mèche ; il m’en a
empêché :
— N’y touche pas, citoyen !
Alors, se tournant vers Jeannot :
— Brûle-moi ça !
Et de nouveau vers moi, avec juste ce qu’il fallait de
suspicion dans la voix pour me glacer le sang :
— Il ne faudrait pas qu’ils tombent entre les mains
des ennemis de la République. Ils pourraient en faire
des reliques.
Pendant que Jeannot s’acquittait de la tâche, la reine
me remit sa dernière lettre, adressée à Madame Elisabeth. J’ai eu le temps de la copier avant de la transmettre au citoyen Bault. Il en fera ce qu’il voudra, ce
n’est plus mon affaire.
C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière
fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort
honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à
aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand
la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret
d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je
n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre
sœur. Vous qui aviez par votre amitié tout sacrifié pour
être avec nous, dans quelle position je vous laisse !
J’ai appris, par le plaidoyer même du procès, que
ma fille était séparée de vous. Hélas ! La pauvre enfant,
je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre ; je
ne sais pas même si celle-ci vous parviendra. Recevez
pour eux deux ici ma bénédiction ; j’espère qu’un jour,
lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir
avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils
pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer : que les principes et l’exécution exacte de ses
devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié
et leur confiance mutuelle en feront le bonheur.
Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience
qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui
inspirer ; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous
les soins, les services, que l’amitié peut inspirer ; qu’ils
sentent enfin tous deux que, dans quelque position où
ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux
que par leur union ; qu’ils prennent exemple en nous.Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a
donné de consolations ! Et, dans le bonheur, on jouit
doublement quand on peut le partager avec un ami ; et
où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa
propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément :
qu’il ne cherche jamais à venger notre mort !
J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon
cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait
de la peine. Pardonnez-lui, ma chère sœur ; pensez à
l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire à un
enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend
pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que
mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse
pour tous deux.
Il me reste à vous confier encore mes dernières
pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement
du procès ; mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire,
la marche en a été si rapide que je n’en aurais réellement pas eu le temps.
Je meurs dans la religion catholique, apostolique et
romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été
élevée, et que j’ai toujours professée. N’ayant aucune
consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il
existe encore ici des prêtres de cette religion, et même
le lieu où je suis les exposerait trop s’ils y entraient une
fois, je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes
les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe.
J’espère que, dans sa bonté, Il voudra bien recevoir mes
derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’Il veuille bien recevoir mon âme dans
sa miséricorde et sa bonté.
Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à
vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que,sans le vouloir, j’aurais pu leur causer. Je pardonne
à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici
adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais
des amis ; l’idée d’en être séparée pour jamais, et leurs
peines, sont
Weitere Kostenlose Bücher