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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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ventre vide ?

    Ce ne fut pas le cas des Girondins. Il y avait, lors de
ce banquet, un peu de pain, quelques fruits, et du
coupe-figure pour égayer la soirée. Rien de plus. Qu’on
se le dise, Pantagruel, ce soir-là, n’était pas à la Conciergerie. Qui avait pris soin de pourvoir les Girondins en
victuailles ? Je n’en ai jamais eu la moindre idée. On a
souvent dit qu’il s’agissait de Bailleul, qui devint plus
tard président du Conseil des Cinq-Cents. L’intéressé,
y trouvant sans doute quelque raison d’être loué
comme camarade à la fois bon, généreux et intrépide,
n’a jamais démenti ; la rumeur a fait le reste. Il est pourtant impossible que Bailleul fût celui qui ravitailla ses
amis ce soir-là. À la date du 31 octobre, il était lui-même écroué à la Conciergerie, où il se fit oublier etd’où il sortit après Thermidor. Le mystère reste donc,
mais qu’importe au Phédon : car s’il fut mémorable,
c’est moins à ses plats raffinés qu’à la bravoure, l’héroïsme et l’esprit des convives qu’il le doit.

    Ils étaient dix-huit. Sillery et Lasource, malades,
avaient été ramenés au Luxembourg. Les autres, y
compris Valazé, furent reconduits à la Conciergerie,
dans la chapelle qui porte aujourd’hui leur nom, aux
alentours des onze heures et demie.

    Ils burent, mangèrent, et discutèrent toute la nuit.
Parlèrent-ils de religion, comme on l’a souvent
entendu ? Deux prêtres étaient présents ce soir-là.
L’un, l’abbé Émery, fut incarcéré seize mois sans qu’on
l’envoie à la guillotine car il savait mieux que quiconque consoler les mourants – « ce petit prêtre, disait
Fouquier-Tinville, empêche les autres de crier » ;
l’autre, l’abbé Lambert, bénissait ceux qui partaient
pour l’échafaud. De tous les Girondins, seul Fauchet
accepta la confesse. Lui qui avait fait tomber la Bastille
le sabre à la main abjurait maintenant son passé révolutionnaire pour retrouver la foi qui l’avait longtemps
animé. Tous les autres refusèrent les secours de la religion. La seule qu’ils connaissaient était celle de Voltaire, de Rousseau, de Condorcet. Brissot, que les tyrannies religieuses et politiques avaient révolté depuis le
moment où il avait commencé à réfléchir, n’avait-il pas
juré de consacrer sa vie à leur destruction ? Ses amis
Girondins n’avaient-ils pas proscrit les prêtres et voté
leur déportation ? Non, ils ne parlèrent pas de religion.

    Alors de quoi parlèrent-ils ? Eh bien, Monsieur, faut-il vous le dire ? Ils parlèrent de la Révolution, de laliberté, de la République, de l’immortalité de l’âme.
Trop d’années ont passé, je ne saurais vous répéter
leurs conversations verbatim . Je regrette seulement
qu’un greffier ne fût pas là pour consigner chacune de
leurs paroles, tantôt émouvantes, tantôt amusantes,
toujours éloquentes.

    Je me rappelle quelques persiflages héroïques,
quelques saillies, quelques regrets. Je me rappelle
Vergniaud qui dit emporter le deuil de la Révolution
comme Mirabeau avait emporté celui de la monarchie ;
je me rappelle Ducos demandant à Fonfrède : « Sais-tu, mon ami, où nous serons enterrés ? », et Fonfrède :
« Ma foi, non. Mais j’ai repéré une jolie petite place sur
laquelle je verrais bien ma statue » ; je me rappelle cette
phrase de Duperret : « Au moins nous mourons parce
que nous avons sacrifié à notre idéal : la République ! »,
et de Boileau qui lui rétorque : « Il n’y a pas d’idéal qui
vaille la mort, parce que l’idéal, c’est de vivre » ; je me
rappelle Mainvielle reprenant le mot de Lasource :
« Nous mourons parce que le peuple a perdu la raison. Nos accusateurs mourront le jour où il l’aura
recouvrée. »

    Je me souviens qu’ils parlèrent de leurs amis qui
s’étaient enfuis et qui vivaient cachés, traqués comme
des bêtes sauvages : « Buvons à la santé de Barbaroux,
de Buzot, de Roland ! » dit Vergniaud, « et de Pétion,
de Guadet, de Girey-Dupré, de Salles ! » ajouta Ducos,
« et de tous ceux qui nous font défaut ce soir, mais
restent présents dans nos cœurs ! », renchérit Fonfrède.
Ils ne savaient pas que bientôt, tous, ils les retrouveraient sur l’autre rive. Ils ne savaient pas que Girey-Dupré les suivrait sur l’échafaud vingt jours plus tard ;
que Salles serait guillotiné huit mois après, bientôt
suivi par Barbaroux et Guadet ; que

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