Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
Vom Netzwerk:
un des plus grands regrets que j’emporte
en mourant ; qu’ils sachent du moins que, jusqu’à mon
dernier moment, j’ai pensé à eux.

    Adieu, ma bonne et tendre sœur ; puisse cette lettre
vous arriver ! Pensez toujours à moi : je vous embrasse
de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers
enfants. Mon Dieu, qu’il est déchirant de les quitter
pour toujours ! Adieu, adieu : je ne vais plus m’occuper
que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas
libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un
prêtre ; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un
mot, et que je le traiterai comme un être absolument
étranger.

    17 octobre 1793

    Elle est arrivée sur une simple charrette, dos au cheval ; on lui a refusé le carrosse qu’on avait daigné accorder au roi, de même qu’on lui a refusé de s’habiller en
noir, car c’eût été porter le deuil de la monarchie.

    Vêtue d’une robe blanche immaculée et coiffée d’un
bonnet à dentelles, elle a gardé un visage impassible,
nimbé d’une aura divine, digne jusqu’à l’échafaud.

    Quand la guillotine a levé son bras, j’ai dû me
mordre la langue pour étouffer un sanglot. Après
qu’elle l’eût relâché, des milliers de têtes coiffées de
rouge ondulèrent comme un champ de coquelicots,
pendant que des milliers de bouches criaient à
l’unisson : « Vive la République ! » Et parmi ces milliersde bouches, imperceptible dans la foule vociférant ses
imprécations, il y en eut une qui ne put s’empêcher de
murmurer, en écho : « Vive la reine ! » Cette bouche,
c’était celle de Louise. Elle avait tenu à m’accompagner – ou peut-être était-ce la reine, sa reine, qu’elle
avait voulu escorter dans son dernier voyage. Nous
allions quitter le théâtre de cette scène infernale
quand, soudain, une main se posa sur mon épaule.
Quelqu’un m’interpellait :

    — Tranchée.

    Je me retournai. C’était Jeannot.

    — Pardon ?

    — Sa foutue gorge, dit-il. Elle est tranchée.

 
    LE BANQUET
     

    — Savez-vous, Monsieur, ce que c’est d’entendre
vingt hommes dont la vertu n’a d’égale que le talent de
chanter La Marseillaise de concert, puis dix-neuf, puis
dix-huit, puis dix-sept, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il
n’en reste plus un ?

    Non, bien sûr que non.

    Vous êtes encore jeune. Vous n’étiez pas né en 93.
Vous n’avez connu ni la Révolution ni la guerre. Ni
Robespierre ni Napoléon. Peut-être même n’avez-vous
jamais vu mourir un homme, ou tout au moins l’avez-vous vu mourir de sa belle mort, dans son lit, entouré
des siens – encore qu’accoler l’adjectif « belle » au
mot « mort », fût-elle chez soi, en bonne compagnie et
au terme d’une vie bien remplie, peut paraître un
audacieux oxymore. Mais pourquoi vous parler d’une
chose à laquelle vous n’avez sans doute jamais songé ?
J’ai eu votre âge, je sais ce que c’est. On considère
la mort comme une subordonnée, une domestique
qu’on peut décider de sonner à tout moment, mais
qui restera à l’office aussi longtemps qu’aucun signalne lui sera donné. On la met sur un pied d’égalité
avec la vie ; on a tort : c’est toujours elle qui finit par
l’emporter.

    Et puis une nuit, on se regarde dans un miroir, ou on
embrasse sa femme, ou on se couche, tout simplement.
Et soudain on y pense. On y pense et on comprend que
la vie, ce miracle qui tient à si peu de chose, est encore
beaucoup par rapport à la mort. Car la vie, après tout,
résulte d’un mécanisme complexe mais néanmoins
chronologique – un homme rencontre une femme, ils
s’aiment, ou s’ils ne s’aiment pas au moins cèdent-ils à
leurs instincts, l’homme besogne la femme comme un
paysan besogne son champ, et de même que le champ
donne du blé, la femme met au monde un enfant. La
mort, elle, ne connaît ni complexité ni chronologie.
Elle est d’une affolante simplicité : vous êtes chez vous
et soudain le cœur lâche, ou sur un champ de bataille
et une balle vous atteint, ou devant un juge et il requiert
la peine capitale. Qui sait quand elle arrivera ? On peut
le deviner plus ou moins, se perdre en conjectures.
Sans doute me prendra-t-elle avant vous. C’est une
probabilité, pas une certitude. Ce qui est certain, en
revanche, c’est qu’elle nous aura tous les deux. Car
voyez-vous, Monsieur, vous qui m’écoutez et moi qui
vous embête, nous ne sommes rien. Ou si peu . Et ce

Weitere Kostenlose Bücher