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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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fois. J’allai
au cimetière Sainte-Catherine et la fis déterrer. Je brisai
le cercueil, arrachai le linceul, serrai Gabrielle dans
mes bras, caressai ses joues froides comme le marbre,
embrassai ses lèvres et laissai Deseine mouler le visage
que j’avais jadis couvert de baisers. « Si, dans les seuls
malheurs qui puissent ébranler une âme comme la
tienne, la certitude d’avoir un ami tendre et dévoué
peut t’offrir quelque consolation, je te la présente. Je
t’aime plus que jamais, et jusqu’à la mort. » Jusqu’à la
mort... Ce dernier mot de Robespierre résonne funestement, aujourd’hui qu’il m’y envoie. Je vais bientôt
rejoindre celle pour qui mon cœur se serre encore
alors que je murmure son nom : Gabrielle. Requiescat
in pace.

    Après le quai de la Mégisserie, nous voilà rue de la
Monnaie. Des curieux se pressent aux fenêtres. Les
charrettes se frayent difficilement un chemin. Je fixe la
foule avec orgueil et dédain. Hérault semble morne,
abattu, presque indifférent. Camille a l’air effaré. Il
espère attendrir le peuple, cette vile canaille : « Ne me
reconnaissez-vous pas ? C’est à ma voix que la Bastille
est tombée ! » La foule est hostile. Elle le hue, elle l’insulte. Camille devient blême. Il continue : « Je suis
le premier apôtre de la Liberté ! Sa statue va être arrosée par le sang d’un de ses enfants. À moi, peuple
du 14 juillet, ne me laissez pas assassiner ! » Les cris
redoublent d’intensité. Les quolibets fusent. Il paraît
encore plus accablé. Il veut poursuivre ses exhortations, mais Lacroix lui intime l’ordre de se taire :
« Calme-toi, lui dit-il. Songe à leur commander le respect plutôt qu’à exciter leur pitié. » Alors Camille se
tait, rabat les lambeaux de sa chemise sur son torse
émacié, et pleure en silence.

    Devant le café de la Régence, David est là, avec son
bloc à dessin et son crayon à la main. Valet ! Il veut me
croquer, saisir les derniers tressaillements de vie chez
Danton, comme il l’a déjà fait pour l’Autrichienne.
Surtout, garder la tête haute, le regard plein de défi,
d’orgueil, de mépris.

    Sur les marches de l’église Saint-Roch, une grosse
femme au visage de Gorgone soulève son enfant à bout
de bras pour qu’il ne perde rien du prodigieux spectacle. Je frémis devant ces yeux dont le blanc s’irrigue
de vaisseaux rouges qui éclatent en petites flaques.
N’en déplaise à l’horloger de Genève, l’homme n’est
pas naturellement bon. Le peuple non plus.

    Plutôt que de le sortir de sa misère, on lui a jeté des
têtes en guise de pain, et du sang en guise de vin ! On
lui a offert celui du roi, de la reine, des nobles... Ça ne
l’a pas rassasié. Ce minotaure à qui l’on doit chaque
jour donner ses cadavres s’abreuve maintenant du sang
des enfants de la Révolution ; ce sang vermeil qui ruisselle sous la guillotine pour se mêler aux eaux du Styxne lui a pas suffi. Il lui faut encore celui de Desmoulins, de Fabre, de Danton... Et bientôt, oui, bientôt
viendra le tour des autres... La Révolution meurt et ils
mourront avec elle. Je ne leur accorde pas six mois.
Je les entraîne dans ma chute. Les Robespierre, les
Couthon... Aucun d’eux ne sait gouverner. Si encore je
laissais mes couilles au premier et mes jambes au
second !

    343, rue Saint-Honoré... C’est justement là que vit
l’Auvergnat, cloué dans son fauteuil jaune pâle, avec
ses inutiles souliers à boucles chaussant ses pieds qui
ne lui obéissent plus... Au 366, les charrettes marquent
une pause. C’est ici, dans la maison Duplay, que loge
l’avocat d’Arras. Les têtes se tournent vers ses volets qui
restent clos. Lacroix me dit de sa voix rogommeuse :
« Le lâche, il se cache comme il s’est caché au 10 août ! »
Camille s’emporte : « Monstre, auras-tu soif après t’être
gorgé de mon sang ; pour te soûler, faudra-t-il celui de
ma femme ? » J’explose : « Robespierre, c’est en vain
que tu te caches, tu y viendras, et l’ombre de Danton
rugira de joie dans son tombeau quand tu seras à cette
place ! » Un homme m’interpelle : « Laisse le citoyen
Robespierre, lui seul est vertueux ! » J’ai envie de lui
répondre : « Sais-tu, citoyen, où je lui mets sa vertu ? »
Mais je ne dis rien. Qu’importe, après tout...

    Lui et sa maudite vertu ! Il n’a toujours eu que ce
mot à la bouche. Il s’en pare pour mieux souligner
les vices de ceux

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