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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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qu’il envoie sur l’échafaud. Oh, il n’a
pas grand-chose à se reprocher – fût-ce la mort de ses
amis : il n’a jamais touché d’argent, n’a jamais fait de
dettes, ne s’est jamais enivré, a toujours été habillécomme il faut, et il n’a jamais goûté aux plaisirs de la
chair – encore que ce nouveau Jupiter, à entendre certains, n’a guère besoin des métamorphoses du dieu de
l’Olympe pour s’humaniser avec la fille de son hôte...
Foutaises ! L’Incorruptible est surtout d’une honnêteté
révoltante. Ah ! Il fallait le voir, lui qui pâlissait à la vue
d’un sabre nu, avec son regard froid, son rigorisme et
son austérité, monter à la tribune et se lancer dans une
éloquente philippique de ses lèvres minces et pincées,
comme s’il eût, de la pointe au pommeau, le sceptre
royal enfoncé dans le cul ! Non, Robespierre, je n’ai
pas toujours été vertueux. Mais sache, paltoquet, que je
me fous de ta vertu ! Il n’y a pas de vertu plus solide
que celle déployée chaque nuit avec Gabrielle, avec
Louise, et avec toutes les autres ! Les femmes... Lacroix
me disait que leurs cuisses me guillotineraient, que le
mont de Vénus serait ma roche Tarpéienne. Car oui,
je les ai aimées. Je ne l’ai jamais caché. Gabrielle le
savait ; Louise le savait ; la France le savait. J’ai fait
l’amour à tant d’entre elles que je passais, dans tout
Paris, pour l’un des citoyens les plus habiles au déduit.
Voilà un titre de gloire dont tu ne saurais te prévaloir,
Robespierre. Un titre que jamais tu ne pourras m’enlever, fût-ce sous la lame du rasoir national !

    Je les ai aimées, et je dois avouer qu’elles me l’ont
bien rendu. Je n’ai pourtant jamais été beau : la faute à
cette vache, ma première nourrice, au pis de laquelle
je m’allaitai. La faute, surtout, au taureau en rut qui
se précipita sur elle, me déchirant la lèvre d’un coup
de corne. Une première cicatrice dont je gardai, sept
ans plus tard, un désir de vengeance : l’animal paîttranquillement, je me rue sur lui avec un bâton, il me
renverse et m’écrase le nez. Puis c’est un troupeau de
cochons, las de mes coups de fouet, qui me passe sur le
corps. Enfin, la petite vérole, accompagnée du pourpre,
achève de diluer mes cicatrices dans un masque tavelé.
Le teint grêlé, la figure affreuse, la bouche déformée,
j’allais devenir, bien plus tard, le Silène des Cordeliers.

    Les femmes... En voilà une, coiffée d’un bonnet
phrygien, qui nous montre son sein. C’est Catherine,
une jeune comédienne dont les charmes plus que le
talent ont contribué à faire la fortune. Fabre l’a rencontrée à Namur, dans les Pays-Bas autrichiens. Il voulait l’épouser, mais la mère de la jeune fille, moins
sensible aux belles phrases qu’aux écus sonnants, s’y
opposa fermement. Alors Fabre décida de l’enlever.
Mauvaise idée : les deux amants furent bientôt rattrapés. Accusé de rapt et de séduction d’enfant mineur,
il fut condamné à la pendaison avant que le gouverneur des Pays-Bas ne prononce sa grâce. Je n’ai jamais
autant ri que le soir où, avec Camille et Philippeaux, au
Parnasse, il nous conta cette histoire. Fabre... On a dit
de lui qu’il était le plus lâche coquin que la terre ait
porté, qu’il possédait la fourberie et la scélératesse à
un degré jamais égalé, qu’il n’était qu’un comédien
raté n’ayant connu que les sifflets, que toutes celles
qui se produisaient avec lui sur la scène se reproduisaient ensuite dans son lit... On a dit tant de choses et
pourtant le personnage me plaisait. Il m’amusait, avec
ses vers, sa vanité et son orgueil : encore jeune homme,
il accola l’Églantine à son nom, en souvenir du prix
d’éloquence des Jeux floraux de Toulouse qu’il n’aurait, paraît-il, même pas remporté ! Qu’importe, j’en ai
fait mon secrétaire, je lui ai donné des sommes considérables, toutes puisées dans le trésor public, je lui ai
passé les escroqueries et les vols, et, rançon du succès,
j’ai partagé des femmes avec lui.

    Ce succès, je l’ai dû à ma voix. Une voix de stentor
qui retentissait au milieu de l’Assemblée, tel le canon
d’alarme appelant les soldats sur la brèche. Ah ! Qu’il
était jouissif de mener le monde au gré des inflexions
de cette voix forte, brusque, pénétrante, en un mot –
sépulcrale ! Une voix qui faisait des jaloux, des craintifs, des envieux dont les voix, trop

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