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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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qu’ils veuillent bien trouver dans
ces pages que je noircis d’une main fébrile l’expression
de ma plus sincère reconnaissance.

    L’ Éloge rédigé, je bus l’autre moitié de la bouteille
et me glissai enfin dans les draps. Je tremblais de vin,
de joie et de terreur. J’étais résolu à mourir dans ce lit
où Charlotte avait passé une de ses dernières nuits.
Pendant longtemps, je fis tourner entre mes doigts le
couteau que j’avais prévu de m’enfoncer dans la poitrine. Mais avant de mourir pour elle, je voulais souffrir
pour elle. Je m’entaillai le bas-ventre et laissai le sangcouler sur les draps. De blancs, ils devinrent grenat :
la couleur de la chemise que portait Charlotte sur la
sinistre charrette était à nouveau devant moi. Soudain,
tout devint limpide, aussi limpide que le sang qui continuait à s’épandre : je devais vivre pour mourir comme
Charlotte, sur l’échafaud, et non comme sa victime, le
cœur transpercé par un couteau. Je pris la bougie qui
dans la pénombre de la chambre éclairait faiblement
et, pour cautériser la plaie, fis couler de la cire brûlante sur mes chairs lacérées.

    Indifférent à la douleur, j’éprouvai au contraire un
désir violent. L’image de cette chemise collée à sa peau
par la pluie n’avait cessé de m’envoûter. Dans une
incantation latine, pour convoquer Mutinus Mutunus,
je murmurai Carlotta plusieurs fois. Et bientôt ce ne fut
plus qu’une succession de cris saccadés. En m’abandonnant à des penchants onanistes, je profanais le
sanctuaire de sa virginité. Qu’importe, je la foutai en
pensée, elle qui n’a jamais connu d’homme. Je rêvais
de posséder charnellement ce corps guillotiné, ce
con que David et Chabot inspectèrent post mortem
pour y chercher en vain les traces d’une quelconque
débauche : elle était vierge au moment de monter sur
l’échafaud ; nul amant n’avait armé son bras vengeur.

    Le matin, je quittai ce lit souillé de foutre, de sueur
et de sang. La gorgone qui avait témoigné contre Charlotte n’aurait qu’à tout nettoyer. Mon Schadenfreude rassasié, il ne me restait plus qu’à expier cette nuit
de vices par une mort plus vertueuse.

    J’allai trouver le poète, puis l’imprimeur et distribuai
l’ Éloge de Charlotte devant l’Hôtel de Ville, le Palais-Royal et le palais des Tuileries, à tous les citoyens
que je croisai, qu’ils fussent porteurs d’eau, savetiers,
conventionnels ou boulangers. Je risquais ma vie pour
Charlotte ; peu m’importait. Son aïeul n’avait-il pas
écrit qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ?
Ma victoire serait l’échafaud. Un seul regret : ne pouvoir être enterré à Ermenonville, sur l’île des Peupliers,
face au mausolée de mon maître. Sur ma pierre tombale, au pied d’un chêne centenaire, on aurait pu lire :
« Ci-gît Adam Lux, disciple de Jean-Jacques Rousseau. »
Au lieu de quoi l’ignoble bourreau jetterait froidement
mon corps dans le tombereau. Car je ne demandais
plus qu’une chose : que l’on me fît l’honneur de la
guillotine, cet autel sur lequel on immole désormais les
victimes. Forster soutenait que ma passion pour Charlotte m’avait égaré. Kerner me supplia de fuir. Pour
aller où ? Dans Mayence occupée ? Je restai, accablé, ne
me nourrissant plus chaque jour que du quart d’une
livre de pain. Bientôt, j’en étais certain, on viendrait
me chercher.

    Fin juillet, je fus arrêté, interrogé et transféré à la
Force. Il n’y avait là que quelques lits couverts de vermine et des sacs de paille dont il fallut s’accommoder.
Nous étions une trentaine, dans une seule pièce, avec
en guise de latrines un simple baquet de bois d’où
s’échappait une odeur si pestilentielle qu’il fallait se
couvrir le nez d’un mouchoir pour ne pas suffoquer.
Pour seule pitance de la viande en putréfaction, des
légumes gâtés, de la morue pourrie, et pour étancher
la soif une demi-chopine d’eau de Seine. La première
nuit fut la plus dure. Et puis, comme à toute chose, ons’habitue. Par la suite, je restai dans les appartements
de l’infirmerie où l’on est mieux logé. Je passais mes
journées à dormir, à lire et à deviser. Il y avait là de
brillants esprits : Vergniaud, le plus grand orateur de
notre temps, guillotiné il y a quatre jours ; Miranda, ce
général vénézuélien qui se battit en Afrique, aux États-Unis, dans les Antilles et à Valmy ; Montané,

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