Tu montreras ma tête au peuple
ci-devant
président du tribunal révolutionnaire, coupable, aux
yeux de Fouquier-Tinville, d’avoir fait passer Charlotte
pour folle afin qu’elle soit reconnue irresponsable de
ses actes ; Champagneux, qui au moment de son arrestation négociait le manuscrit autographe de l’ Émile à
Hérault de Séchelles ; et tous ces hommes encore
jeunes, courageux, qui attendaient patiemment dans
l’antichambre de la mort que l’on vienne les chercher
pour leur ôter la vie. Cela dura trois mois.
Je commençai à trouver le temps long et décidai,
pour hâter les choses, d’envoyer une lettre à Fouquier-Tinville afin que la justice se prononçât sur mon cas :
« Citoyen, écrivis-je, avoir des opinions différentes de
ceux qui gouvernent est peut-être un malheur ; les
publier est peut-être une imprudence : mais pourquoi
serait-ce une folie absolue de ne ressembler tout à fait
à tout le monde ? Je demande à être jugé promptement afin que le tribunal décide si je suis républicain
ou contre-révolutionnaire, fou ou raisonnable, sage ou
égaré, innocent ou coupable : car tout me paraît préférable à l’opprobre injuste et immérité d’être nourri
et enfermé comme inutile, pitoyable, méprisable. Par
conséquent, je vous prie instamment de décider bientôt s’il y a lieu d’accusation contre moi, oui ou non, etdans le premier cas de me faire juger. Quelle que soit
la suite de ce jugement, croyez que vous m’aurez
obligé. »
Et pour être sûr d’arriver à mes fins, dans une autre
lettre écrite sous le pseudonyme de Moschenbey, je
sommai l’accusateur public de livrer au tribunal révolutionnaire l’effroyable Adam Lux qui avait traité Marat de
monstre et comparé l’infâme Charlotte Corday à Brutus.
Il paraît qu’on se divisait sur mon sort. Certains me
croyaient fou – Le Courrier de l’égalité me recommanda
des bains froids – et pensaient qu’en me condamnant
on ferait de moi un martyr ; d’autres soutenaient que
puisque j’avais décidé de mourir et m’étais rendu coupable d’écrits contre-révolutionnaires, il fallait satisfaire ma requête. Les seconds l’emportèrent. Quelques
jours plus tard, l’acte d’accusation me fut signifié.
Le procès débuta avec le président Dumas me questionnant sur mes origines :
— Vous vous appelez Adam Lux, âgé de vingt-sept
ans et dix mois, résidant à Kostheim, près de Mayence.
Allemand, donc ?
— Né sujet d’un prince allemand, rétorquai-je, je
suis devenu français pour avoir cru à la pureté de la
Révolution. Aujourd’hui, je n’ai plus d’autre Patrie que
la Liberté.
Je fus condamné à la peine de mort comme « auteur
d’écrits contenant provocations à la dissolution de la
représentation nationale et au rétablissement d’un
pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple ».
Pour ma défense, je ne répondis qu’une seule phrase :
« Je me soumets à la loi. » Cette loi dont le glaivem’aura, dans deux heures tout au plus, envoyé ad
patres . C’est le 29 mars, soit cent dix jours avant la mort
de Charlotte, que je suis arrivé en France. Je vais mourir
le 4 novembre, cent dix jours après elle. On ne m’empêchera pas de voir dans cette funeste symétrie temporelle la marque du destin. Et que peut l’homme contre
le destin ? Une tuile tombant d’un toit aurait pu me
tuer, et ma mort n’aurait pas servi la liberté ; de cette
façon, au moins, je meurs avec honneur. Puisse cette
pensée consoler ma femme que j’aime quoique je
meure pour une autre ; elle pleurera ma perte mais
s’en sentira honorée. Je ne pourrai l’aider à élever nos
filles, mais je leur laisse en souvenir mes sentiments,
ma vie et ma mort.
Sabine, ma chère femme, Appolonie-Thérèse, Marie-Anne, mes filles adorées, veuillez m’excuser pour le
chagrin que je vais vous causer. Mais bientôt, je serai
plus près de vous que ces six derniers mois, car mon
esprit, délivré de l’enveloppe terrestre, ne tardera pas à
planer autour vous.
En attendant, je suis ici, dans cette cellule étroite. Il
ne me reste que peu de temps pour terminer cette
lettre qui sera en quelque sorte mon testament. Les
hommes qui la liront, s’il y en a un jour, comprendront
peut-être ma résolution. Si j’ai choisi de mourir, ce
n’est pas, comme on a pu l’écrire, par frivolité ou par
folie. Ce choix est le fruit d’une longue réflexion. En
épousant la mort, j’ai choisi l’action.
Weitere Kostenlose Bücher