Tu montreras ma tête au peuple
fluettes pour se
faire entendre seules, s’ajoutaient l’une à l’autre pour
me calomnier.
On a dit que j’avais de beaux habits, une belle
maison, une jolie femme ; que je me baignais dans le
bourgogne et mangeais du gibier dans des assiettes en
argent ; que j’étais jouisseur, voluptueux, débauché,
Mammon, sybarite ; que je vautrais mon corps et mon
âme dans la fange pestilentielle des plaisirs qui se
vendent ; que le Veto m’a acheté pour sauver sa couronne, que le duc d’Orléans m’a acheté pour que je
vole la couronne et la lui donne, que l’étranger m’a
acheté pour que je trahisse ma patrie. Un peu de vrai,
beaucoup de faux, de médisances, de bavardages. Je ne
confesse qu’une seule faute : celle d’avoir aimé la vie,
les femmes et le vin. Le Figaro de Beaumarchais ne s’y
trompait pas : boire sans soif et faire l’amour en tout temps,
il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.
Je n’ai rien caché. Ou si peu. Je n’emporte qu’un
secret dans le panier de Sanson : encore au collège, jevoulais voir comment on faisait un roi et, m’échappant de
Troyes, je gagnai la cité des sacres à pied. Le 11 juin
1775, j’ai assisté, dans la cathédrale de Reims, au couronnement de Louis le Dernier. Dix-huit ans plus tard,
je votai sa mort. Pourtant, j’ai bien essayé de le sauver.
Mais peut-on sauver un roi mis en jugement ? Il est
mort quand il paraît devant ses juges.
Parlons-en, des procès... Le mien n’a été qu’une mascarade, une comédie. Les témoins à décharge ? Jamais
cités à comparaître. Les jurés ? Soigneusement choisis
par Fouquier. Les débats ? Abrégés. Les preuves ? Fabriquées. J’ai essayé de me défendre, parfois avec éclat,
souvent avec colère. Je pensais que ma voix, qui tant de
fois s’était fait entendre pour la cause du peuple, n’aurait pas de peine à repousser la calomnie. Herman
m’avertit : « Danton, l’audace est le propre du crime,
et le calme est celui de l’innocence... » Mais pouvais-je
être maître de commander aux sentiments d’indignation qui me soulevaient contre mes détracteurs alors
que j’étais si injustement inculpé, à deux pas de la
guillotine ? Est-ce d’un révolutionnaire comme moi,
aussi fortement prononcé, qu’il fallait attendre une
réponse froide, timorée ? Je demandai qu’on produise
mes accusateurs, que je puisse les plonger dans le néant
d’où ils n’auraient jamais dû sortir, leur arracher le
masque qui les dérobait à la vindicte publique. Nouvel
avertissement. On me réclamait des égards, de la modération, du calme alors qu’il s’agissait de ma vie. M’accusait-on de corruption ? Je répondais que les hommes de
ma trempe sont impayables, que c’est sur leur front
qu’est imprimé, en caractères ineffaçables, le sceau dela liberté, le génie républicain. Me reprochait-on d’être
un modéré ? Je faisais remarquer que mon nom est
attaché à toutes les institutions révolutionnaires, de la
levée au Comité de salut public, jusqu’au tribunal qui
me jugeait. Des accords avec Mirabeau ? Tout le monde
sait que je l’ai combattu, que j’ai contrarié ses projets
toutes les fois que je les ai crus funestes à la liberté ! On
m’accuse, je me défends. On ne peut m’arrêter, alors
on suspend les débats. Le lendemain, je suis condamné,
convaincu d’avoir trempé dans une conspiration tendant à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain !
Pensez ! Moi, Danton ! Je me fous de leur jugement. Je
l’ai dit à Ducray. Seule la postérité me jugera. Elle
mettra mon nom au Panthéon et le leur aux gémonies !
Et si l’Histoire ne me rend pas justice, c’est que l’opinion publique est une putain et la postérité une sottise !
Peut-être aurais-je dû partir... On m’a dit : « Fuis,
Danton ! Cache-toi ! Pars en Belgique, en Hollande, en
Amérique ! » Mais est-ce qu’on emporte sa patrie sous
la semelle de ses souliers ? Est-ce qu’il faut avoir brisé la
tyrannie des privilèges, mis fin au monopole de la naissance et de la fortune dans tous les grands offices de
l’État, dans nos églises, dans nos armées, dans toutes
les parties de ce grand corps magnifique de la France
pour finalement traverser la Manche ou l’Atlantique ?
Est-ce qu’il faut avoir déclaré que l’homme le plus
humble de ce pays est désormais l’égal des plus grands,
que cette
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