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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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romarin.

    J’y passais mes journées, à boire et à baiser. Et le soirje rentrais, je reprenais ma vie de bourgeois respectable, j’allais au théâtre, à l’Opéra, j’étais reçu à dîner.
Je rencontrais Balzac, Dumas, Vidocq, Appert, et même
Hugo, qui honnissait ma fonction : il fit paraître deux
livres, Le Dernier Jour d’un condamné et Claude Gueux ,
véritables réquisitoires contre la peine de mort. Il me
dit un jour : « Vous savez, Henri-Clément, l’édifice
social du passé reposait sur trois colonnes, le prêtre, le
roi, et le bourreau. Il y a déjà longtemps qu’une voix
a dit : Les dieux s’en vont ! Puis une autre voix s’est élevée et a crié : Les rois s’en vont ! Il est temps, maintenant, qu’une troisième voix s’élève et dise : Le bourreau
s’en va !  » En attendant, c’est une quatrième voix, la
mienne, qui s’éleva et lui dit : L’écrivain se tait ! Je
regrette de ne pas avoir été plus virulent. J’avais pensé
lui demander : Et Hugo, il la ferme quand sa gueule ? Mais c’était Hugo, et on n’insulte pas Hugo, ou si on
l’insulte c’est au risque de se trouver un jour dans ses
écrits, grimé sous les traits d’un personnage peu avenant, figé dans des pages destinées à la postérité.

    J’ignore si le bourreau s’en ira un jour, mais ce jour
n’est pas encore arrivé. Il était de bon ton, dans les
dîners, de dire « j’ai vu Sanson l’autre soir », alors on
m’invitait, et je ne boudais pas mon plaisir. On me
demandait de raconter mes exécutions, on voulait voir
la guillotine, et parfois même l’essayer. Hugo, d’ailleurs, l’a écrit dans ses carnets : moyennant quelque
paraguante, j’accédais aux requêtes des curieux et
guillotinais tantôt une botte de foin, tantôt, si l’on
payait bien, un mouton. Un jour, une famille anglaise,
le père, la mère et trois jeunes filles, se présenta chezmoi. Ils voulaient voir la guillotine. Je fis jouer l’instrument plusieurs fois, mais la plus jeune des trois filles
n’était pas satisfaite.

    — Monsieur Sanson ? dit-elle timidement. Comment
fait-on quand l’homme est sur l’échafaud ? Comment
l’attache-t-on ?

    Je lui expliquai la chose et lui dis : nous appelons
cela enfourner .

    — Eh bien, Monsieur Sanson, dit la jeune fille, je
désire que vous m’enfourniez.

    Je tressaillis. Je me récriai. La jeune fille persista.

    — C’est une idée que j’ai, dit-elle, de pouvoir dire
que j’ai été attachée là-dessus.

    Je m’adressai au père, à la mère. Ils me répondirent :

    — Puisque c’est son envie, faites.

    Il fallut céder. Je fis asseoir la jeune miss, lui liai les
jambes d’une ficelle, les bras d’une corde derrière le
dos, l’attachai sur la bascule et l’y bouclai avec la ceinture de cuir. Je voulus m’en tenir là.

    — Non, non, il y a encore quelque chose, dit-elle.

    Je la couchai sur la bascule, plaçai sa tête dans la
lunette et refermai sur elle le capuchon. Alors elle se
déclara satisfaite.

    Tant mieux ! Car je vis le moment où elle allait me
dire : « Il y a encore quelque chose. Laissez tomber le
couteau. »

    Cette curiosité morbide était largement partagée.
Alors que pendant des siècles on avait à peine toléré
l’existence du bourreau, voilà qu’on recherchait désormais sa compagnie. J’étais devenu un homme du
monde, ou du moins étais-je considéré comme tel. Jeme ruinais en chevaux, collectionnais meubles et
tableaux, me faisais habiller chez les meilleurs tailleurs
de Paris, et dépensais au jeu le peu de fortune qui me
restait. Bientôt, je dus me rendre à l’évidence : j’étais
criblé de dettes.

    L’ombre de Clichy se faisait de plus en plus menaçante. Chaque matin, j’avais peur qu’un recors vînt me
trouver au saut du lit pour m’y emmener de force. Et
comme ils n’avaient ni le droit d’appréhender leurs
victimes hors de Paris, ni de le faire pendant la nuit, je
partais dès l’aube pour les faubourgs, passais la journée
dans de sombres bouges, et rentrais chez moi une fois
le soleil couché.

    Ce petit jeu dura quelques mois. Puis la justice, qui
semblait m’avoir oublié, me donna à nouveau du travail : un homme qui avait tenté d’assassiner Louis-Philippe fut condamné à mort. Je procédai à l’exécution, et rentrai tranquillement chez moi quand les
recors, qui toute la journée m’avaient discrètement
suivi, m’appréhendèrent pour m’emmener

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