Un bateau pour l'enfer
et, en tant que tel, ne manquait pas une occasion de s’afficher en grande tenue lors de parades militaires qui réunissaient, elles, les vrais vétérans. Il avait même proposé au Joint de faire défiler tous les rescapés de la guerre qui avaient perdu bras jambes, en signe de solidarité avec les passagers du Saint-Louis.
VOUS CONSEILLE VOUS RENDRE ZONE INTERNATIONALE PRÈS ÎLE BEDLOE [71] DANS LE PORT DE NEW YORK ET ATTENDRE PENDANT QUE GROUPE HOMMES D’AFFAIRES AMÉRICAINS ET MOI RÉUNISSONS VOTRE GARANTIE ET EN MÊME TEMPS FAISONS APPEL CONGRÈS POUR QU’IL ACCORDE ASILE À VOS PASSAGERS
Gustav Schröder montra le message à Müller :
« Avez-vous entendu parler de cet homme ? »
Le commissaire secoua la tête.
« Très bien. Dites au radio de répondre : “Veuillez confirmer et arranger tous les détails avec la Hapag de New York.” Et faites afficher le télégramme de ce monsieur sur le panneau d’information. Fabulation ou non, il ne pourra qu’entretenir l’espoir des passagers. »
Il avait raison. Un vent d’optimisme souffla aussitôt sur le navire. On pensait à eux.
« Pour moi, dira Gisela Feldman, tant que nous voguions au large des côtes de la Floride, nous pouvions garder espoir. Pour nous, l’Amérique était le pays de l’opulence, là où les rues étaient pavées d’or. Nous étions presque certains que la petite poignée de gens que nous formions ne pouvait être laissée à la porte de ce monde-là. »
Le seul que cette nouvelle encourageante ne réjouissait guère était Otto Schiendick. Si, par malheur, le Saint-Louis ne rentrait pas en Allemagne mais accostait aux États-Unis, les documents secrets que lui avait confiés Hoffman pouvaient tomber entre les mains du FBI . Ce ne serait pas la première fois que les services américains se livreraient à la fouille des quartiers de l’équipage ou même à une fouille corporelle. Les chances qu’on découvre les documents étaient infimes, mais le Leiter fut pris de panique. Sans réfléchir, il se rua dans la salle des radios et ordonna à l’opérateur d’expédier le texte suivant à l’intention de la « boîte aux lettres » secrète de l’Abwehr.
UTILISEZ TOUTE INFLUENCE POUR RAPPELER NAVIRE EN ALLEMAGNE SANS DÉLAI
Interloqué, le radio fit mine d’obéir, mais sitôt que Schiendick quitta la salle, il se précipita chez Schröder pour lui montrer le télégramme.
La réaction du capitaine ne se fit pas attendre. Il convoqua immédiatement le Leiter dans sa cabine.
« Seriez-vous devenu fou, Schiendick ? Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Quoi donc ? »
Le capitaine exhiba le câble.
« Je ne fais que mon devoir !
— Votre devoir ? Depuis quand un marin a-t-il le devoir de déterminer la direction que doit prendre un navire ! »
Schiendick décida de tomber le masque.
« Depuis qu’il appartient aux services secrets et qu’il a une mission de la plus haute importance à accomplir. »
La révélation, pour aussi inattendue qu’elle fût, ne surprit pas le capitaine. Il avait appris par Müller que lors de la visite surprise de Hoffman, l’agent allemand avait exigé de rencontrer l’Ortsgruppenleiter en tête à tête. Dès cet instant, Schröder s’était douté qu’un lien occulte existât entre l’Abwehr et Schiendick. Il venait simplement d’en avoir confirmation. Il répliqua :
« Sachez qu’à mes yeux vous n’êtes rien de plus qu’un steward aux ordres de son capitaine. »
Il balança la feuille au visage de Schiendick.
« Votre télégramme ne sera pas expédié. »
Le Leiter manqua de s’étouffer.
« Il vous en coûtera ! Une fois à Hambourg votre comportement sera rapporté à qui de droit ! »
Et il répéta avec force :
« Il vous en coûtera ! »
Schröder désigna la porte.
« Dehors ! »
Dans la soirée, un flash diffusé par une station de radio de Miami fit grandir un peu plus l’espérance des passagers. On annonçait que le président Brù avait donné son autorisation pour que le navire accoste à l’île des Pins. Ce flash venait confirmer un article de Hart Philipps, correspondant du New York Times à La Havane, paru le matin même.
CUBA OUVRE SES PORTES
AUX GENS DU SAINT-LOUIS
Le gouvernement cubain est disposé à considérer un plan qui permettrait aux réfugiés qui se trouvent à bord du Saint-Louis de s’installer à Cuba dans un camp de concentration (sic) provisoire situé sur l’île
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