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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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Batista et de réclamer de lui qu’il plaide la cause du Saint-Louis auprès du président Brù. Nous avons refusé et nous lui avons plutôt conseillé de se mettre en rapport avec Luis Clasing afin de savoir très précisément de combien d’autonomie disposait le navire. Nous lui avons aussi fortement suggéré de prendre en considération la proposition de la République dominicaine et de rétablir le dialogue avec Pou. Il ne nous a pas échappé que Berenson était réticent à cette idée et que, selon lui, ce sentiment était partagé par le bureau new-yorkais. Nous avons tout de même insisté en lui faisant remarquer que la perspective dominicaine représentait une carte majeure dans son jeu et qu’il était temps de la jouer.
    Coert du Bois
    Consul général des États-Unis
     
    Un point de détail essentiel est à retenir de ce mémorandum. Berenson se rend chez le consul à neuf heures du matin, c’est-à-dire trois heures avant son rendez-vous prévu avec Brù. Tout laisse à croire dans ses propos qu’il sait déjà les conditions qu’on va lui imposer : cinq cents dollars de caution par passager. De même, il semble suffisamment angoissé pour solliciter l’intervention de l’ambassadeur auprès de Batista. On voit bien qu’il pressent que « l’affaire » lui échappe. Et le consul s’en rend compte : « Il apparaît que le château de cartes si laborieusement conçu par Berenson soit en train de s’écrouler. » Comment ne pas en conclure que la fameuse discussion qu’il avait eue avec Benitez Jr. fut beaucoup plus poussée et bien plus sérieuse que Berenson ne le laissa croire aux responsables du Joint le 15 juin ? Il devait être particulièrement convaincu pour anticiper en citant le montant de quatre cent cinquante mille dollars, alors qu’il n’avait pas encore rencontré le président cubain. Tout démontrait qu’il avait commis une erreur de jugement en sous-estimant l’intervention de Benitez ou qu’il avait reçu d’autres renseignements qui tous allaient dans le même sens, et dont il n’a pas jugé utile de rendre compte. Quelle que soit l’explication, il est important de souligner, au crédit de l’avocat, que l’affaire était perdue d’avance. Elle avait été jugée bien avant son intervention. Ainsi que l’avenir le démontrerait, à aucun moment Brù n’eut l’intention d’accepter les réfugiés du Saint-Louis.
    Lundi 5 juin 1939
    À quatorze heures précises, le major Garcia confia au président le plan revu et aménagé par l’avocat new-yorkais.
    Une heure plus tard, à 15 h 17 exactement, à Washington, le téléphone sonnait dans le bureau de Cordell Hull.
    Le secrétaire d’État reconnut à l’autre bout du fil la voix du secrétaire au Trésor américain, Henry Morgenthau Jr [66] .
    Voici la transcription de la conversation surréaliste et pour le moins ambiguë qui se déroula entre les deux hommes :
    Hull : Hello, Henry.
    Morgenthau : Hello, Cordell.
    H : Oui, monsieur ?
    M : Comment allez-vous ?
    H : Très bien !
    M : Cordell, certains de mes amis new-yorkais m’ont appelé au sujet de cette terrible tragédie concernant ce bateau, le Saint-Louis, et ses neuf cents réfugiés.
    H : Oui.
    M : Et il y a eu toutes sortes de choses contradictoires sur ce qui pourrait être fait ou non. Je veux dire…
    H : Ouais.
    M : Car, s’ils avaient su que les choses en arriveraient là, ils auraient agi.
    H : Oui.
    M : Vous me suivez ?
    H : Oui. En fait, je me suis entretenu avec l’ambassadeur cubain il y a environ une heure et il y a une vingtaine de minutes avec le président…
    M : Oui.
    H :… à ce sujet.
    M : Oui.
    H : Et ce matin j’en ai parlé avec le vieux James Carson [67] de New York, cet homme très compétent, qui se trouve à Savannah (sic)…
    M : Oui.
    H : … à La Havane [68] .
    M : Oui.
    H : Il a soulevé la question des visas de touriste.
    M : Oui.
    H : Ils pourraient aller aux îles, nos îles là-bas. Comment diable s’appellent-elles… ?
    M : Les îles Vierges ?
    H : Ouais.
    M : Ouais.
    H : Il a suggéré qu’on pouvait les y installer le temps de les caser ailleurs.
    M : Oui.
    H : J’ai tout de suite adhéré à cette idée, mais j’ai découvert que juridiquement…
    M : Ouais.
    H : … nous ne pouvions pas leur délivrer des visas de touriste à moins qu’ils n’aient une adresse d’origine précise et qu’ils soient en mesure d’y retourner.
    M : Oui.
    H :

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