Un bateau pour l'enfer
cela signifie ? »
Bustamente haussa les épaules, perplexe.
« Peut-être que Brù cherche à obtenir l’aval de Batista ? »
Presque simultanément, Henry Morgenthau appelait, comme il s’y était engage, le secrétaire d’État américain, Cordell Hull.
Une fois encore, le dialogue entre les deux hommes frisa le saugrenu.
Morgenthau : Cordell ?
Hull : Oui, monsieur.
M : Comment allez-vous ?
H : Très bien.
M : Je vous appelle au sujet du Saint-Louis, ce bateau allemand.
H : Oui.
M : Mes amis de New York disent qu’ils ont des problèmes avec les Cubains qui réclament de l’argent cash.
H : La situation, voyez-vous, est la suivante : les gars de New York ne veulent pas que les Cubains reçoivent l’argent et les Cubains veulent en recevoir.
M : Ah, ah.
H Mes hommes travaillent là-bas avec le… l’homme qui représente les gens de New York.
M : C’est cela.
H : J’ai oublié son nom.
M : N’y a-t-il rien que je puisse faire, ou qu’ils puissent faire ?
H : Rien, à ma connaissance. Si je trouve quelque chose, je vous en informerai.
M : Merci beaucoup.
H : Ouais.
M : Merci.
H : Ouais.
M : Au revoir.
Vers dix-huit heures, les premiers journaux de La Havane, mais aussi le New York Times, titraient à la une :
CUBA REFERME LA PORTE AUX RÉFUGIÉS
LE DÉLAI DE 48 HEURES A EXPIRÉ
[…] Au sortir d’une réunion avec le président Brù, le secrétaire au Trésor, Joaquin Ochtorena, a fait savoir que le gouvernement cubain ne permettra pas aux 907 passagers de la compagnie Hamburg American Line – qui se trouvent en ce moment quelque part dans l’Atlantique – d’accoster dans quelque port cubain que ce soit. Il a expliqué que le délai de quarante-huit heures qui permettait à Lawrence Berenson, l’avocat du Comité de secours juif basé à New York, de présenter les garanties exigées par l’État cubain, à savoir cinq cents dollars par passager, et d’offrir des assurances quant aux frais qui auraient découlé de l’installation des réfugiés dans un camp de concentration (sic) sur l’île des Pins, ce délai avait expiré. M. Ochtorena a aussi précisé que la commission chargée d’examiner la question avait reçu entre-temps de M. Berenson une contre-proposition qui était totalement inacceptable. C’est l’une des raisons pour lesquelles aucun accord n’a pu aboutir. La compagnie maritime serait prévenue incessamment de la décision du gouvernement.
[…] M. Berenson a exprimé sa profonde surprise à l’annonce de cette décision, tout en assurant qu’il persisterait dans ses efforts en vue d’aboutir à une solution : « Je ne comprends absolument pas les raisons de cette décision soudaine prise par le palais, a-t-il dit. Je vais essayer de me mettre en rapport avec le président. »
[…] M. Berenson a aussi indiqué qu’il n’envisageait pas de se pencher sur la proposition faite par la République dominicaine.
Le nouveau directeur pour l’Immigration, le Dr Acandita Gomez Debandujo, a déclaré : « J’éprouve une grande sympathie pour ces infortunés passagers, mais il s’agit là d’une décision économique. Cuba est une petite île, et nous ne sommes pas en mesure d’intégrer encore plus de réfugiés. »
Dans sa suite de l’hôtel Sevilla-Biltmore, Berenson, la tête entre les mains, se répétait inlassablement la même question : Bon Dieu… Mais pour quelle raison ? Pourquoi ?
Il se redressa et prit Cecilia Razovsky à témoin.
« Il n’a jamais été question d’ultimatum, n’est-ce pas ? Jamais ! »
Plus tard, à New York, il présentera sa version des faits : « J’ai appris (bien après que toute l’affaire fut terminée) que le président Brù avait pour habitude de répéter au ministre de l’Agriculture que son secrétaire au Trésor n’avait “aucune expérience de la publicité” et que c’était à son insu que l’homme avait décidé de ce délai de quarante-huit heures. Cette déclaration était donc une erreur. À aucun moment, en plus de l’exigence des cinq cents dollars par passager, le président n’a laissé entendre qu’il imposait aussi un délai. Le mal étant fait, Brù n’a pas jugé utile de démentir. »
Vrai ou faux, de toute façon, cette « erreur » faisait l’affaire de Brù. Lorsque l’on analyse toutes les pièces du dossier, force est de constater que le président cubain n’a jamais eu l’intention
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