Un caprice de Bonaparte
saisit par le bras et sur un ton mi-sérieux, mi-badin .) Oui, c’est ce que j’attends de toi, un fils, qui soit tout du peuple, qui incarne la France, qui soit aussi fort et sain et dévoué que toi. C’est ce qu’il me faut et alors seulement toute cette fatigue et toute cette peine auront un sens ! ( Il se détache d’elle, puis sur un ton moins grave : ) Et à présent, mon agneau, prépare un peu de café, des fruits et des sorbets pour Berthier. Pauvre bougre, je lui ai collé du travail pour la moitié de la nuit !
BELLILOTTE sort docilement par la porte qui conduit aux appartements de Bonaparte. Entre Berthier.
BONAPARTE.
Eh bien, quelles nouvelles ?
BERTHIER.
Rien d’important. Une caravane attaquée à Damanié. Attaque repoussée. Les Anglais se sont emparés d’un petit cargo.
BONAPARTE.
Une fois de plus ! Pas une sardine ne leur échappe ! Lequel ?
BERTHIER.
L’Arethusa. C’est une vieille guimbarde, presque sans fret. Deux douzaines d’éclopés à bord – et notre courrier. ( Riant ) Ou plutôt nos deux courriers.
BONAPARTE, questionnant.
Deux ?
BERTHIER.
Oui, avec notre Fourès !
BONAPARTE.
Ah ! le brave Fourès. Il n’a pas de chance ! Je ne lui voulais pas tant de mal ! Nous en voilà débarrassés plus radicalement que nous ne le pensions. ( Entre Bellilotte portant un plateau de fruits. Bonaparte se tourne vers elle ) Bellilotte, nous avons des nouvelles de ton mari. Ils l’ont fait prisonnier.
BELLILOTTE, anxieusement.
Qui ?
BONAPARTE.
Les Anglais.
BELLILOTTE.
Seigneur Jésus ! Va-t-il lui arriver du mal ?
BONAPARTE.
Rien de mal ! N’aie aucune crainte. Faut bien le reconnaître, ils sont corrects ces coquins flegmatiques.
BELLILOTTE.
Mais que feront-ils de lui ?
BONAPARTE.
Ils le transféreront en Angleterre sur les pontons.
BELLILOTTE.
Les pontons ? Oh, mon Dieu, qu’est-ce que cela peut bien être ?
BONAPARTE.
Des navires désaffectés ancrés dans les ports. Ça vaut mieux qu’une prison.
BELLILOTTE.
Et combien de temps, crois-tu, combien de temps le garderont-ils ?
BONAPARTE.
Aussi longtemps que nous resterons en Egypte, jusqu’à la paix.
BELLILOTTE, désespérée.
Et tu ne peux rien pour lui ? Toi qui peux tout ? Tu l’échangeras contre d’autres prisonniers, n’est-ce pas ?
BERTHIER, riant.
Il s’en gardera bien. On a eu assez de mal à l’embarquer.
BELLILOTTE, furieuse.
Pourquoi riez-vous ? Je ne veux pas qu’on se moque de Fourès ! Je ne le tolérerai pas. C’est déjà assez laid ce que je lui ai fait. Mais je ne veux pas que de plus on rie de lui, ça je ne le supporterai pas. Je ne veux pas qu’à cause de moi on le diminue.
BONAPARTE, souriant.
Ce sont des propos pour rire... il n’en sait rien.
BELLILOTTE.
Justement ! Si au moins il le savait, s’il savait comme je me suis conduite, si j’avais pu le lui dire ! Il pourrait alors me mépriser et ma faute me pèserait moins qu’en sachant qu’à chaque heure de la journée il se fait des soucis pour moi qu’il croit honnête et fidèle... Et pendant ce temps tout le monde se moque encore de lui !
BONAPARTE.
Mais non, mon enfant, personne ne pense à lui ! Il vogue à présent au large et Dieu sait quand il reviendra... Dans un an ou dans dix ! Donc, pas de bêtises et pas de regrets ! Cesse de penser à lui, ce n’est pas demain que tu le reverras ! Et maintenant, allons dormir ! Viens ! ( A Berthier ) Je te prends les plans pour la Syrie ; Bourrienne a déjà déployé les cartes là-haut. Aujourd’hui même je te tracerai la marche des armées. Tout le reste il me le faut absolument au rapport. Je compte sur toi. Bonne nuit !
(Il suit Bellilotte qui disparaît par la porte conduisant aux appartements privés.)
BERTHIER allume sa pipe et se met au travail. Le bureau excepté, toute la pièce est dans l’ombre. Le silence est total : on n’entend que le grincement de la plume sur le papier. Soudain on frappe à la porte.
Zut ! A minuit ? Entrez !
(Fourès paraît sur le pas de la porte.)
BERTHIER, dans l’obscurité il ne l’a pas reconnu.
Qu’y a-t-il ?
FOURÈS.
Le lieutenant Fourès est à vos ordres.
BERTHIER, stupéfait.
Qui ?
FOURÈS, sur le même ton
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