Un caprice de Bonaparte
officiel.
Le lieutenant Fourès est à vos ordres.
BERTHIER bondit.
Fourès ? Mais... Mais... c’est impossible ! Comment diable... Comment êtes-vous revenu si vite ? Vous aviez l’ordre de vous embarquer sur L’Arethusa ?
FOURÈS.
Nous avons été attaqués et faits prisonniers à six mille d’Alexandrie.
BERTHIER, toujours stupéfait.
Je le sais... Mais vous ? Comment êtes-vous là ?
FOURÈS.
Les Anglais m’ont libéré.
BERTHIER.
Ils ont rendu la liberté à tout l’équipage ?
FOURÈS.
Non, à moi seulement.
BERTHIER.
Pourquoi à vous, justement ?
FOURÈS.
C’est bien ce que je me demande. Il y a quelque chose là-dessous que je ne saisis pas. Tout d’abord ces coquins m’ont jeté dans la cale avec les autres. Quelques heures plus tard, deux matelots sont venus me chercher et m’ont conduit auprès de l’amiral, qui ricanait avec des officiers : il me dit qu’il ressortait de mes papiers que le général Bonaparte attachait à ma personne une valeur particulière... et que je pouvais être libéré sur parole.
BERTHIER.
Et vous l’avez donnée ?
FOURÈS.
Non, j’ai refusé. Ils ont continué à chuchoter. Je n’ai rien compris, mais la rage m’a empoigné de voir leur sale rire. Finalement ils ont fait apporter mes documents, les ont réunis et scellés à nouveau. Puis leurs marins m’ont ramené jusqu’à la côte. Pourquoi n’ont-ils libéré que moi... le diable m’emporte si j’y comprends quelque chose. ( Après une pause ) : voici les documents !
BERTHIER prend le paquet et le jette furieusement sur la table.
Ça c’est trop fort ! Ils ont toujours le temps et l’envie de rire, ces gens-là ! ( Il va et vient rageusement dans la pièce ) Bon. Je prends note de vos dires. Je les porterai à la connaissance du général en chef. Pour le reste, demain matin au rapport. Merci. ( Fourès ne bouge pas et l’on voit qu’il voudrait parler .) Qu’y a-t-il encore ?
FOURÈS a abandonné maintenant le langage de service.
Citoyen général, aidez-moi... il a dû se passer quelque chose ici... Voilà : j’arrive la nuit au quartier et n’y trouve pas ma femme. Elle est partie. Je réveille les camarades : mais aucun ne veut ou ne peut me donner de renseignements. Ils ne savent rien, qu’ils disent, mais je crois qu’ils me cachent quelque chose. Pour finir, l’un d’eux m’a dit de m’adresser au général... Mais il n’est pas possible que j’aille le déranger à minuit...
(Il attend.)
BERTHIER se mord les lèvres et ne souffle mot.
FOURÈS anxieux et avec une certaine véhémence.
Je vous en conjure, citoyen général, dites-moi ce qu’il en est. Serait-elle malade ? Lui est-il arrivé un malheur ?
BERTHIER.
Ne vous inquiétez pas... Tout ça s’éclaircira demain. Pour le moment allez tranquillement dormir !
FOURÈS.
Je ne bougerai pas avant de savoir ce qui se passe ! Ici comme tout à l’heure on me répond sur le même ton évasif ! Tout le monde bredouille et personne ne me dit la vérité. Nom d’un chien, j’ai bien le droit de savoir ce qui se passe avec ma femme ! C’est une réponse qu’il me faut, une réponse claire et nette !...
BERTHIER ne répond pas.
FOURÈS élève maintenant la voix et crie presque.
Au diable, où est ma femme ?
BERTHIER.
Fourès, je vous demande de ne pas vous laisser aller à la colère ! Je n’ai pas à connaître la raison pour laquelle votre femme a cru bon de changer de domicile : c’est son affaire et non pas la mienne ! C’est à elle qu’il faudra demander des explications !
FOURÈS, tremblant de rage.
Vous ne voulez pourtant pas dire que ma femme...
BERTHIER, lui coupant la parole.
Je n’ai rien à dire. Et au point de vue service je ne connais même pas Mme Fourès. Le règlement a expressément interdit aux officiers de l’armée d’Orient d’emmener leurs femmes. Nous savions bien pourquoi. Celui qui y a contrevenu l’a fait à ses risques et périls.. Il doit en supporter les conséquences.
FOURÈS, avec emportement.
C’est bien ainsi que je l’entends ! Je réponds de ma femme comme je réponds de moi-même, mais non pas des canailleries dont elle a pu être l’objet. Qu’est-ce qui se passe ici ? Je veux savoir sur-le-champ où se trouve ma femme. Tonnerre
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