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Un collier pour le diable

Un collier pour le diable

Titel: Un collier pour le diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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coudoyant des filles entretenues.
    Le sieur Hue en personne, voltigeant à travers son salon dans un frou-frou de taffetas puce comme un bourdon affairé, conduisit le nouvel arrivant vers le fond de la pièce en s’excusant beaucoup d’être obligé de l’installer à une table déjà occupée. Il l’amena ainsi devant une petite table parée de lin blanc et fleurie de candides marguerites où un vigoureux jeune homme portant la petite tenue bleu et rouge d’officier des Cent-Suisses, très semblable d’ailleurs à celle que portait Gilles – à cette différence près que les galons du Suisse étaient d’or au lieu d’être d’argent –, était occupé à faire disparaître méthodiquement un buisson d’écrevisses capable de servir d’abri à un escadron.
    — J’ai pensé que ces Messieurs de la Maison du Roi ne seraient pas trop contrariés de dîner face à face, murmura Hue après avoir salué révérencieusement ce bon client ; je manque affreusement de place et les rares tables qui sont encore libres sont retenues. Vraiment, je suis navré…
    — Vraiment, il ne faut pas ! Je suis très honoré…
    Le mangeur d’écrevisses avait levé un œil noisette de sur le tas de débris encombrant son assiette, s’en était servi pour considérer celui qu’on lui amenait et venait d’articuler cette bienvenue gracieuse avec un accent qui avait dû voir le jour dans les cantons du nord de l’Helvétie. Après quoi, il posa sa serviette, déplia une carcasse aussi longue que celle de Gilles mais deux fois plus épaisse, claqua les talons et ajouta d’une voix si grave qu’elle frisait le caverneux :
    — Baron Ulrich-Ernst-August-Friedrich von Winkleried zu Winkleried ! Prenez place, je vous prie !
    À son tour, Gilles se présenta, s’installa en face du Suisse et, tandis que celui-ci reprenait l’exploration soigneuse de son buisson, commençait à consulter la carte superbement calligraphiée sur un épais papier à filets d’or.
    — Prenez les écrevisses ! conseilla aimablement Winkleried, c’est un régal !…
    Tournemine le remercia d’un sourire, commanda en effet des écrevisses, une matelote d’anguilles et du vin de Chablis. Son voisin en profita pour réclamer un autre buisson car le sien avait subi des dommages irréparables et il avait envie d’en goûter encore quelques-unes. Pendant ce temps le restaurant achevait de se remplir au point qu’il n’y eut bientôt plus une place de libre. L’air se chargeait du fumet des plats, du bourdonnement des conversations et le sieur Hue pouvait contempler avec satisfaction une salle qui réunissait nombre de personnalités parisiennes : le marquis Ducret frère de la célèbre Mme de Genlis, « gouverneur » des enfants du duc de Chartres, le duc d’Aiguillon, l’affreux et tonitruant marquis de Mirabeau, le commissaire général à la chancellerie d’Orléans Brissot, l’avocat Pétion de Villeneuve, l’orateur toulousain Barère de Vieuzac, le Conseiller d’Eprémesnil, le docteur Charles, le célèbre physicien dont les cours d’électricité au Louvre faisaient courir les élégants et enfin les fameux frères Robert, les constructeurs de montgolfières dont les ateliers de la place des Victoires étaient immédiatement voisins.
    Toutes les conversations – Gilles n’eut guère besoin de tendre l’oreille pour s’en apercevoir – roulaient justement sur le dernier-né des gigantesques ballons dont les exploits passionnaient les Parisiens, une montgolfière nommée Caroline, dont le dôme de taffetas gommé bleu et or se gonflait déjà au-dessus des toits voisins et qui allait avoir l’honneur insigne d’emporter dans les airs, le 3 juillet prochain, le propre cousin du Roi, le duc Philippe de Chartres, et les frères Robert. Les uns disaient que le prince allait là à un triomphe, qui ferait oublier le désastre d’Ouessant, les autres avec, à leur tête, le docteur Charles 6 que l’engin et ses nouvelles dispositions n’offrait pas une stabilité très remarquable et que le duc allait tout simplement risquer sa vie dans l’aventure…
    Brusquement, le brouhaha cessa un court instant pour reprendre aussitôt après, amplifié en une manière d’ovation à l’adresse d’un couple assez remarquable qui venait de franchir le seuil du restaurant. Lui, très grand, très élégant malgré un début d’obésité, dans un habit gris et jaune à la toute dernière mode de Londres, avait de jolis

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