Un collier pour le diable
yeux bleus et un visage qui eût été séduisant si gâté par un vice de sang il n’était apparu rouge et boutonneux. Elle, petite brune avec un teint d’ambre chaud et des yeux d’Orientale, fort bien faite par-dessus le marché, appartenait visiblement à la meilleure aristocratie. Dans sa toilette de mousseline blanche et sous son grand chapeau de paille retroussé de côté par un piquet de fleurs blanches, elle semblait tout juste descendue d’une toile de Gainsborough ou de Lawrence mais l’expression de son regard, le pli un peu sceptique de sa bouche tendre démentaient ce que sa toilette pouvait avoir d’un peu trop virginal. Cette femme avait l’air d’une jeune fille, mais très certainement elle n’en était pas une.
En effet, aussi célèbre et adulée par la jeunesse dorée de Paris que mal vue à la Cour où l’on ne la recevait plus guère, la baronne Aglaé d’Hunolstein était sans doute l’une des plus jolies femmes de France mais à coup sûr l’une des plus décriées. La haute position de son père, le marquis de Barbantane, ambassadeur de France auprès du grand-duc de Toscane, et de sa mère, gouvernante de la princesse Louise-Bathilde d’Orléans, ne pouvait plus sauver sa réputation et Mme de Barbantane avait essuyé un refus courtois quand elle avait proposé sa fille aînée pour le poste de dame d’honneur quand son élève était devenue duchesse de Bourbon.
Cela n’avait pas autrement affecté la belle Aglaé : le poste de dame d’honneur avait des allures de corvée beaucoup trop astreignante et elle tenait à la vie indépendante qu’elle menait car, fille de la chaude Provence, elle portait, sous sa peau douce et dans son sang, tout le brûlant soleil de son pays et ses amants ne se comptaient plus. Ainsi La Fayette, amoureux d’elle depuis longtemps, avait fini par trouver dans ses bras la plus douce et la plus parfumée des récompenses dues aux héros chéris des peuples.
Mais il n’avait pas pour autant obtenu la suprématie car, de cette belle collection d’amants, le fleuron était l’homme qui accompagnait la baronne ce jour-là : le duc Philippe de Chartres que les convives du sieur Hue venaient d’accueillir si chaleureusement.
Naturellement ce fut à qui offrirait sa place, mais le regard du duc avait déjà fait le tour de l’assemblée et venait tout juste de se poser sur les deux officiers qui, très occupés de leurs écrevisses, n’avaient prêté aucune attention à son entrée.
Ce fut vers eux qu’il se tourna.
— Que personne ne se dérange ! s’écria-t-il de la voix traînante et affectée qu’il aimait à prendre quand il était en veine de mauvaise plaisanterie. À Dieu ne plaise que je chasse l’un de mes amis quand il y a ici de bons serviteurs de mon cousin Louis qui seront trop heureux, j’imagine, d’obliger un prince du sang ! Hé ! Messieurs de la Maison du Roi, n’entendez-vous pas ? C’est à vous que je m’adresse !…
Ainsi interpellés les deux jeunes gens levèrent les yeux. Winkleried abandonna une fois de plus ses crustacés et Tournemine se retourna sur sa chaise.
— Est-ce à nous que vous en avez, Monsieur ? demanda-t-il.
— On dit Monseigneur, chuchota précipitamment l’un de ses proches voisins. C’est le duc de Chartres !
— Ah !… Merci !
Poliment alors il se leva, salua :
— Veuillez m’excuser, Monseigneur, mais je n’avais pas l’honneur de connaître Votre Altesse.
— C’est l’évidence même, ricana Philippe. Eh bien, à présent que vous me connaissez, cédez-nous donc votre table ! Nous avons grand faim !
Le ton, dédaigneux, était plus offensant que s’il eût été agressif. Rapidement, le regard du Breton fit le tour de tous ces visages déjà réjouis. De toute évidence, le duc n’avait là que des amis qui se réjouissaient à l’avance d’une humiliation publique infligée à deux serviteurs du Roi. Leurs figures avaient cette expression d’attente cruelle qu’il avait déjà remarquée à Madrid, autour de l’arène de la Plaza Mayor. Mais il n’était nullement disposé à jouer le rôle du taureau. Ces princes conspirateurs ou délibérément frondeurs commençaient à lui porter singulièrement sur les nerfs.
— Je n’en doute pas un seul instant, fit-il avec bonne humeur. Puis-je cependant demander à Votre Altesse si ce restaurant lui appartient ?
— Naturellement non ! Me prenez-vous pour un croquant ?
— Dans
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