Un collier pour le diable
Gilles.
— Tenez ! Un commissionnaire a apporté ce billet pour votre femme le lendemain de votre disparition… Judith avait passé la nuit à la fenêtre à vous attendre. Elle a lu la lettre puis elle a poussé un cri affreux et elle est tombée dans les bras de Pongo, évanouie… Vous aurez peut-être du mal à la lire. Elle a tant pleuré dessus avant que je ne réussisse à la lui reprendre !
Défroissant de son mieux le billet sur son genou d’une main qui tremblait, Gilles réussit à déchiffrer les quelques lignes d’une écriture visiblement féminine.
« Prenez patience, petite Madame, vous ne reverrez pas de sitôt votre séduisant époux. Il faut être bien naïve, bien sourde et bien fraîchement sortie de sa province… ce que vous êtes, pour ignorer que votre beau chevalier est l’amant de la Reine et qu’on n’a jamais rien repris à Marie-Antoinette parce qu’elle ne le permet pas. Consolez-vous ! Vous êtes si jeune… Votre tour viendra !… Une amie sincère ! »
Le poing de Gilles écrasa le petit chiffon empoisonné. Il se sentait devenir fou et serra les paupières pour retenir les larmes qui lui venaient.
— Elle a lu ça !… Elle a lu ça ! Mais comment a-t-elle pu y croire ?… Elle sait pourtant bien que je n’aime qu’elle ! Ah ! Dieu… Je l’aime tant !…
— Elle… trouver aussi portrait ! Alors… elle croire !
Et Pongo vint mettre entre les mains de son maître le coffret dans lequel il avait enfermé la miniature du cardinal. Et le coffret était vide…
D’un geste insensé, Gilles saisit le coffret dont il n’avait jamais songé qu’il pût lui faire un jour tant de mal et de toute sa force le jeta à travers une fenêtre dont les vitres volèrent en éclats, avant d’aller s’abattre, secoué de sanglots convulsifs, sur le lit que personne n’avait eu le courage de refaire et où demeurait la trace du corps léger de sa femme… Pendant des heures il appela Judith à grands abois rauques de fauve en furie…
Quand le jardin s’emplit de soldats, vers la fin du jour, il n’en entendit rien. Ce fut seulement quand une main ferme se posa sur son épaule qu’il émergea de l’abîme de désespoir où il s’était englouti.
Relevant la tête, il vit, sans la moindre surprise, un officier debout auprès du lit, un officier qu’il reconnut. C’était M. Gaudron de Tilloy, Lieutenant des Gardes de la Prévôté, qui le regardait avec une immense pitié. Mais sa voix n’en perdit rien de son officielle fermeté en prononçant les paroles fatidiques :
— Chevalier de Tournemine de La Hunaudaye, au nom du Roi, je vous arrête !…
Cherchant vainement la signification de ces mots incroyables Gilles se releva, murmura :
— Vous m’arrêtez ?… Moi ?…
— Vous êtes accusé de collusion et de complicité avec le cardinal prince de Rohan, inculpé de vol et d’atteinte à la majesté royale ! Veuillez me suivre.
Les yeux de Gilles, presque aveugles d’avoir tant pleuré, firent le tour de la chambre. Ils découvrirent Mlle Marjon qui, à genoux sur le parquet, pleurait et priait, Winkleried qui venait d’arriver et qui, dans un coin, se rongeait les poings, Pongo raide comme une lance auprès d’un sac qu’il venait de remplir à la hâte et déjà prêt à suivre le destin de son maître. Puis ils revinrent se poser sur l’officier qui attendait sans impatience. Alors, haussant les épaules, il murmura :
— Je vous suis, Monsieur… Après tout, pourquoi pas ?
Plus rien n’avait d’importance !…
Saint-Mandé, septembre 1977.
L’auteur
Juliette Benzoni est née à Paris. Fervente lectrice d’Alexandre Dumas, elle nourrit dès l’enfance une passion pour l’Histoire. Elle commence en 1964 une carrière de romancière avec la série des Catherine , traduite en 22 langues, qui la lance sur la voie d’un succès jamais démenti à ce jour. Depuis, elle a écrit une soixantaine de romans, recueillis notamment dans les séries La Florentine (1988-1989), Les Treize Vents (1992), Le boiteux de Varsovie (1994-1996) et Secret d’État (1997-1998). Outre la série des Catherine et La Florentine, Le Gerfaut et Marianne ont fait l’objet d’une adaptation télévisuelle.
Du Moyen Âge aux années trente, les reconstitutions historiques de Juliette Benzoni s’appuient sur une ample documentation. Vue à travers les yeux de ses héroïnes, l’Histoire, ressuscitée par leurs palpitantes
Weitere Kostenlose Bücher