Un espion à la chancellerie
semaine.
Corbett salua et se retira. Une fois la porte refermée, il s’appuya contre le froid mur de briques en tentant de réprimer les tremblements de son corps et en espérant, avec ferveur, pouvoir tenir la promesse faite au roi.
Le lendemain, il retourna au palais de Westminster. Grâce à l’intercession de Lancastre, Waterton avait été libéré. Il avait eu droit, une fois lavé et habillé, à un copieux repas, mais il était gardé au secret dans une pièce du palais, loin de tout regard curieux. Corbett lui rendit visite et désamorça l’hostilité du jeune homme en lui annonçant que c’était à lui qu’il devait sa libération. Il le soumit à un interrogatoire serré portant sur les réunions, la procédure, les personnes présentes et surtout sur ce qui se passait après la fin des conseils. Cela prit un certain temps. Comme tout bon clerc, Waterton essaya de passer sous silence des faits qu’il estimait sans importance, mais Corbett savait que c’étaient ces points de détail qui lui fourniraient les preuves pour arrêter le traître.
Il le pressa donc de questions minutieuses jusqu’à provoquer un éclat, mais il réussit à confirmer les soupçons qu’il avait eus en France. Il pria ensuite un haut magistrat de la Chancellerie de lui confier la copie des lettres et rapports envoyés en France, à la cour royale comme aux otages. Il passa les jours suivants à les étudier, ne quittant la pièce que pour boire, se restaurer et se soulager. Il lui fallut du temps, mais il finit par trouver les preuves désirées et il demanda immédiatement audience au roi.
Édouard accepta de le rencontrer dans une des roseraies situées derrière le palais de Westminster, un lieu clos et de dimensions modestes, qu’entouraient les hauts murs du palais. D’habitude, Corbett aimait bien cet endroit où les roses s’épanouissaient dans leurs parterres agrémentés de petits carrés de simples, dont les feuilles écrasées sous les doigts laissaient échapper des senteurs parfumées. Un seul regard suffit au roi pour comprendre que son envoyé était, pourtant, indifférent à la beauté qui l’entourait. Le monarque était trop intelligent pour abuser de la patience d’un tel homme : Corbett avait une barbe de plusieurs jours et les yeux rougis par l’insomnie ; ses vêtements étaient d’une propreté douteuse par suite de repas pris à la va- vite et du manque de temps pour se baigner ou même se changer. Le roi lui fit signe de s’asseoir sur le muret d’un parterre avant de prendre place à côté de lui, plus comme de vieux amis que comme un souverain et son fidèle sujet. Corbett exposa toutes les preuves qu’il avait accumulées. Édouard ne disait mot ; tête basse, mains sur les genoux, il l’écoutait comme un prêtre recevant la confession d’un homme qui n’a pas reçu l’absolution depuis des années.
D’une voix posée, mais impitoyable, Corbett retraça ce qui était arrivé à l’armée d’Édouard en Guyenne et reconstitua l’enchaînement des faits qui s’étaient ensuivis : la mort des agents anglais à Paris, la perte du navire le Saint Christopher, ses propres mésaventures, ses soupçons et les raisons pour lesquelles il avait conclu qu’une certaine personne était bien le traître. Il lut ses preuves, feuille après feuille de vélin, où étaient rédigées soigneusement les conclusions qu’il livrait à la sagacité du roi. Quand il acheva enfin, le roi se prit la tête entre les mains, incrédule.
Corbett l’observa avec nervosité. Le roi Édouard était quelqu’un d’étrange : d’une part, c’était un homme dur, implacable, capable d’ordonner, sans hésitation, de massacrer la population entière d’une ville qui lui avait résisté. Mais, de l’autre, c’était presque un enfant : s’il se fiait à quelqu’un, il était convaincu que sa confiance était bien placée, et il ne comprenait jamais que l’on manquât à sa parole. Le traître nommé par Corbett n’avait pas seulement rompu son serment d’allégeance, il avait aussi brisé des liens d’amitié et de loyauté.
Édouard posa une seule question.
— Êtes-vous bien certain de ce que vous avancez, Corbett ?
À quoi celui-ci répondit par une autre question :
— Êtes-vous convaincu, Sire ?
Le roi fit signe que oui et déclara calmement :
— C’est sans conteste un traître. N’importe quel tribunal de la Chrétienté accepterait les preuves que vous
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