Un espion à la chancellerie
comptes rendus. Vous preniez soin d’être toujours là. Après tout, fit remarquer Corbett, pourquoi Waterton se serait-il méfié ? En Guyenne, vous aviez prouvé que vous étiez l’un des commandants les plus compétents du roi, le seul homme à tenter une sortie pour briser l’encerclement des Français. Waterton partageait votre antipathie pour Richemont, et c’est ce qui vous donna accès aux secrets d’État. Waterton commit un délit, c’est vrai, mais il pécha par négligence et non pas par désir de nuire.
Corbett observait le visage de Tuberville et l’angoisse qu’il lisait dans ses yeux lui prouva qu’il avait vu juste.
— Dites-lui, Corbett, interrompit le roi, dites-lui comment il faisait parvenir ses renseignements aux Français.
— Ai-je besoin de vous l’expliquer, Sir Thomas ? reprit Corbett, ressentant tout d’un coup de l’aversion pour cet homme qui avait envoyé ses amis et d’autres sujets anglais à une mort soudaine et cruelle. Vous avez utilisé vos fils ou plutôt les lettres que vous leur écriviez. Elles étaient fort bien rédigées. C’était elles qui transmettaient les messages aux Français, vos nouveaux maîtres. Quand j’ai rencontré vos fils à Paris, ils m’ont avoué que parfois ils ne comprenaient pas vos allusions. La première fois que j’ai lu ces missives, j’ai constaté qu’elles abondaient en noms de lieux, de personnes et en d’étranges commentaires, mais je crus alors que ce n’était que l’effet du chagrin. Puis de Craon m’apporta la conviction que vos lettres étaient plus que cela, plus que de simples listes de conseils et de nouvelles. D’abord, il sembla se souvenir parfaitement de leur contenu : bizarre que l’un des principaux ministres de Philippe se rappelât les détails d’une lettre qu’un simple chevalier anglais avait écrite, des mois auparavant, à l’un de ses jeunes enfants !
Corbett s’arrêta quelques instants et s’humecta les lèvres, puis s’empressa de poursuivre avant que Tuberville pût l’interrompre :
— À mon retour en Angleterre, donc, j’examinai l’une de vos lettres.
De son aumônière, Corbett sortit un petit rouleau de parchemin.
— Une phrase dit : « LE bateau qui part de Bordeaux et me ramène en Angleterre... » ; la phrase suivante commence par : « Le 14 octobre, j’ai l’intention de retourner sur les marches du pays de Galles » ; la troisième par : « Les saint Christophe que je vous ai offerts... »
Corbett se tut un moment en jetant un coup d’oeil à Tuberville dont le visage était, à présent, livide de terreur.
Et enfin, la dernière phrase débute par : « Un grand danger menace... » Ces phrases n’ont apparemment ni queue ni tête, poursuivit-il. Elles donnent en vrac des nouvelles incohérentes. Cependant, si l’on prend les premiers mots de chacune d’elles, on obtient ce message destiné aux Français : « Le bateau appelé le Saint Christopher quitte Bordeaux le 14 octobre et un grand danger menace. » De Craon n’est pas très malin, mais le sens en est très clair ! Le Saint Christopher transportait, à l’adresse de notre souverain, des messages qui auraient pu nuire aux Français. Vous avez transmis cette information, et le Saint Christopher fut arraisonné et coulé corps et biens. Le roi perdit un navire en même temps que des renseignements précieux sur ses ennemis !
Corbett jeta le parchemin au visage de Tuberville.
— On peut parcourir d’autres lettres ; elles contiennent, toutes, de semblables indications. Vous évoquez un voyage en Flandre et pourtant, vous n’avez jamais eu l’intention de vous y rendre. Dans la même lettre, vous mentionnez un ami du nom d’Aspale, mais vous n’avez pas d’ami de ce nom-là. Ce que vous faisiez, en fait, c’était renseigner de Craon sur un agent, Robert Aspale, en mission en France.
Corbett se redressa.
— Vous avez tué mon ami ! Vous avez tué beaucoup d’hommes ! Vous êtes un traître et méritez la mort !
Tuberville regarda ses mains crispées sur ses genoux.
— Est-ce tout ? murmura-t-il.
— Oh non ! rétorqua avec fougue Corbett. Ce n’est pas tout ! Je ne sais pas quelles instructions vous ont données les Français à propos de l’Écosse, mais pour ce qui est du pays de Galles, vous correspondiez avec ce maudit rebelle de Lord Morgan ! Le roi n’a cessé de lui envoyer des courriers pour lui demander instamment de ne pas
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