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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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Limoges, ce qui n’est pas obligatoire pour être heureux.
    Je ne suis pas allé au rendez-vous que j’avais moi-même fixé à la petite marchande de dessins. Rien ne prouve, d’ailleurs, qu’elle serait venue. Je ne pouvais rien pour elle, sinon lui faire l’amour, ce qui n’est pas si grave qu’on le dit dans les chansons.
    On peut penser que je me donnais bonne conscience à peu de frais, mais je préfère être sincère.
    Mado m’attendait à « La Maison rose » pour me présenter à la direction. Elle avait tenu parole.
    — Viens avant que le gros Samyr n’arrive, je te mettrai au parfum…
    Je suis remonté finir de me préparer un peu plus chic que prévu et M me  Donadieu, trouvant ma subite gaieté suspecte, me pria fermement de ne pas lui ramener une « poule ».
    J’ai failli l’embrasser, mais finalement, j’ai tenu mes distances.
    Un fils de famille ne se laisse pas aller à tant d’excentricités.

DEUXIÈME PARTIE

XII
    Ce n’était plus comme avant. Les anciens de « La Maison rose », qui passaient là de temps à autre, regrettaient les folles nuits de leur jeunesse. Je les écoutais volontiers s’épancher sur le passé, certains me faisaient des confidences plus précises, intimes parfois. Mado m’avait prévenu : après minuit ils n’ont plus que toi, intéresse-toi à eux ou fais semblant… Tu es là aussi pour cela.
    J’en apprenais de belles, mais sans jamais me laisser intimider, même si j’avais du mal à saisir quelques allusions équivoques.
    Les nouveaux clients étaient moins sentimentaux, d’abord ils parlaient trop fort et je n’aimais pas que les amis du patron me tapent dans le dos en m’appelant « fils ».
    Ceux-là se croyaient encore dans les rues d’Alger et le gros Samyr, qui connaissait son monde, avait fait livrer des bouteilles de pastis et des pâtisseries orientales, dégoulinantes de miel, qui collent aux doigts.
    Cela rappelait des souvenirs à Mado, qu’elle me dira plus tard.
    Je prenais mon service aux environs de vingt heures, pour préparer la salle avec Roger, un barman de profession qui jouait aux courses, comme on s’en doute, et vivait seul avec sa mère, dans un deux-pièces, rue Houdon, parallèle à la rue des Martyrs. Moins réputée pourtant.
    Nous descendions à la cave chacun notre tour, sans jamais nous disputer. Roger était du genre à éteindre délicatement ses Gitanes à la semelle de ses chaussures. Une manie de vieux garçon habitué à perdre au tiercé. Mado se moquait de lui :
    — Une femme te coûterait moins cher que les chevaux ! Tu devrais essayer…
    Roger haussait les épaules et s’en retournait prendre les commandes. On m’avait laissé le bar, car j’étais plus causant avec la clientèle. Mado terminait l’année en hôtesse de « La Maison rose », elle rassurait par sa présence les solitaires qui, sans elle, ne seraient pas revenus.
    — Au printemps prochain, j’arrête les frais… J’aurai une maison avec un jardin et je me lèverai tôt le matin pour regarder pousser mes fleurs… Tu viendras me voir, hein ! garçon.
    Mado avait du galbe, c’est ainsi que s’expriment les couturiers pour vanter la ligne de leurs mannequins et il fallait beaucoup de concentration pour l’imaginer penchée, un sécateur à la main, sur un massif de tulipes. Pourquoi m’avait-elle choisi pour lui succéder à « La Maison rose » ? Pourquoi m’invitait-elle déjà à la rejoindre dans le jardin fleuri où elle envisageait de se retirer ?
    — Tu as de beaux yeux et tu ne sais rien, voilà ce qui me plaît chez toi…
    Mado avait la manière pour dire des choses essentielles en quelques mots. J’étais flatté car j’en savais assez, quoi qu’elle en pense, pour me sentir troublé.
    Compte tenu d’un passé riche en rebondissements, Mado finirait bien par avoir cinquante ans. J’allais sur mes vingt, ce qui ne me donnait aucune supériorité pour autant.
    J’ai très vite appris à préparer des cocktails, appréciés notamment par l’ami du patron, celui qui m’avait souri le premier soir et continuait, d’ailleurs, à se montrer aimable discrètement.
    Que venait-il faire, au moins trois fois par semaine, à « La Maison rose » ?
    — Rien de bon, m’avait dit Mado, des affaires…
    Il arrivait seul, le plus souvent, et se plaçait à la table la plus rapprochée du piano, où José Latour, un ancien chef d’orchestre des Folies-Bergère, reprenait inlassablement le

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